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proclamerai en traits de feu et ton mérite et tes vertus ; je t’épouserai de nouveau au milieu de nos amis quand, devant Dieu et dans mon cœur, je n’aurai jamais cessé d’être ton ami et ton mari. »

Mme Dubayet a le mérite de refuser : sans doute, cette pompe oratoire et l’opinion qu’Annibal a de lui-même font-elles impression sur son cœur. En tout cas, ses refus sont formels et réitérés. Elle lui dit qu’il ne l’aime point, puisqu’il pense à se séparer d’elle et que c’est bien assez qu’elle lui obéisse lorsqu’il lui enjoint de rester à Grenoble, de ne point venir à Paris pour tenter de le voir. Elle l’aime : cela arrive.

Dubayet est bien inspiré lorsqu’il se tient coi et ne réclame point sa mise en jugement. Bien que noble, législateur et général, on l’oublie à l’Abbaye et, après la chute de Robespierre, dès le 17 thermidor (4 août), il est relâché et, le 22 (8 août), il est réintégré dans son grade ; il vient à Grenoble, passe quelques semaines avec sa femme, mais apprend que sa mise à la retraite a été prononcée le 4 fructidor (22 août). Or, il veut se battre, fût-ce comme volontaire ou comme aide de camp de Kléber. On pense à l’envoyer à Lille, à Strasbourg, aux Indes orientales avant de lui confier l’armée des côtes de Cherbourg, et on l’a pour cela promu général de division. En envoyant à sa femme un portrait en miniature, relativement ancien, il lui écrit : « Tu feras ajouter sur le collet une seconde broderie et le médaillon de vétéran à la seconde boutonnière du côté gauche. » C’est tout pour annoncer sa nouvelle dignité : il n’en parle point, mais il l’immortalise.

De ces détails de son uniforme, il passe à la toilette de sa femme : il sait qu’elle est coquette et il s’efforce, en lui racontant ce qui se porte dans le beau monde, de la consoler de ne l’avoir pas appelée à Paris : « J’ai été au bal, lui écrit-il, exprès pour pouvoir te rendre compte de la mise la plus élégante. La voici : généralement, on porte des chemises de linon-batiste avec des manches, une ceinture de laine, lilas, gros rouge ou verte, entourée d’un liséré d’or ou d’argent. Un vêtement à la mode aussi : on le plisse sur les deux épaules, les deux bouts passent en avant, font le tour par derrière de la taille et viennent se nouer devant. Quelques élégantes ont aussi un ruban de laine rouge, brodé en argent ou or, qu’elles entrelacent dans leurs cheveux relevés par derrière à la romaine. Tous les souliers