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compagnies, des amours, et se reprenait par le divorce, inspira autant de dégoût qu’autrefois de ferveur, et, dans l’État où tout déclinait, l’institution la plus impopulaire devint le mariage. Il parut plus simple d’éviter une condition où l’on n’entrait que pour en sortir, et le célibat l’emporta. Les célibataires, s’ils ne représentent plus seulement ce qu’il faut d’indépendance aux aptitudes et aux inaptitudes d’exception, sont les plus dangereux adversaires de la vie, même si leur renoncement n’est pas une abstinence. Le mariage seul crée l’honneur, le rang, la stabilité de la famille : à son foyer seul les enfans trouvent les soins dont leur corps et leur âme ont besoin. Partout le concubinat est plus avare d’enfans et ses enfans meurent davantage[1]. Les célibataires de la décadence grecque et romaine étaient assez dissolus pour repeupler leur patrie, si la volupté suffisait : ils ont laissé la terre vide. Mais ils n’ont pas cette malfaisance dans le monde moderne, et, réduits tout au plus au sixième de la population, ils sont assez nombreux pour diminuer sa moralité, pas assez pour compromettre son existence. Le nombre des mariages dépasse dans notre pays 300 000 par an. Si l’on tient compte de la population dans les divers pays, nous tenons un rang moyen parmi les peuples, et le nombre des mariages, loin de baisser, aurait plutôt tendance à monter.

Les mariages sont-ils trop tardifs en France ? Trop précoces, les unions épuisent dans les époux trop jeunes la sève féconde ; trop ajournées, elles ne donnent à la formation de la famille que des ardeurs refroidies. La femme de dix-huit à vingt ans, l’homme de vingt et un à vingt-quatre parviennent à la plénitude de l’aptitude conjugale, qui va diminuant ensuite. Il semble qu’en France le mariage soit tardif, surtout pour les hommes. Mais cette apparence tient à ce que les gens les plus observés sont les gens en vue : ceux qui reculent le moment du mariage sont ceux des carrières les plus publiques, les libérales. Pour eux, l’ignorance de l’avenir se prolonge et rend difficile leur établissement. Mais plus nombreux sont les obscurs à qui les chances restreintes de leur métier laissent moins d’incertitudes. Grâce à eux, l’âge moyen des mariages ne dépasse pas en

  1. Durant la période de 1900 à 1904, la France a perdu, sur 1 000 enfans, 74,7 illégitimes et 44, 7 légitimes, morts au moment de la naissance, et, dans l’année de la naissance, 240 enfans naturels et 129 légitimes (Statistique internationale 1907).