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plus restreint au culte du moi. Si bien que dans les changemens de notre destin séculaire se poursuit l’unité d’une leçon.

Quand la France naissante domine les autres peuples par le nombre et la volonté, elle cherche dans les ruines du monde antique les fondemens d’un monde nouveau. Quand elle assemble par la conquête les diverses nations qui divisaient la Gaule, ce n’est pas seulement pour prendre du territoire, des esclaves et l’hégémonie, elle travaille à l’ordre, l’ordre des âmes par l’union de la foi. Faute de cette sollicitude éducatrice, qui eût fait les vaincus semblables les uns aux autres et tous au vainqueur, la civilisation romaine avait perpétué la barbarie ; par cette sollicitude éducatrice, la barbarie franque était déjà la civilisation. Cette civilisation a seulement commencé son œuvre lorsque les Gaules forment un seul Etat. Par cet effort les Mérovingiens ont forgé la force que les Carolingiens emploient à étendre en Europe, sur les peuples divers d’origine, la communauté d’une vie publique et privée. Cette communauté est le Saint-Empire, union de la puissance spirituelle qui appartient au Pape et de la puissance temporelle qui appartient à Charlemagne. C’est cette communauté politique et morale que l’empereur franc protège contre la ténacité des Saxons, contre les audaces des Normands qui gardent au paganisme l’asile de leurs forêts ou de leurs îles, et contre l’invasion des Musulmans qui, de l’Arabie à l’Afrique, à l’Italie, à l’Espagne, s’avancent pour imposer à la société chrétienne la déchéance de leurs doctrines et de leurs mœurs. La lutte contre l’ennemi public, l’Islam, est la vaste pensée des Capétiens. Ce sont eux qui ont le moins à craindre de lui dans leur royaume, mais il leur est insupportable que le Tombeau du Christ appartienne aux sectateurs de Mahomet ; que le sol, les foyers, la liberté, la croyance des races chrétiennes soient perdus et détruits ; ils se sentent les défenseurs obligés de la vie morale que la force menace. C’est par eux que sont commencées, soutenues, poursuivies les Croisades, œuvre où l’on retrouve comme partout où agissent les hommes, les traces des passions humaines, mais œuvre unique par la générosité et par la tendresse fraternelle qui voua deux cents ans l’Europe chrétienne, comme à son intérêt suprême, au maintien de la civilisation commune.

Contre cet ordre chrétien la première révolte fut celle de