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guerre s’écouleront sans qu’ils aient pu joindre un ennemi qui se dérobera toujours ; qu’il leur faudra laisser toute la gloire des combats à leurs frères d’armes, les incomparables « poilus » et « tommies », pour entreprendre la plus pénible et la plus décevante des luttes, contre l’atroce piraterie sous-marine par quoi les Allemands essayeront de remplacer la guerre de surface ; qu’ils seront condamnes à ne jamais se battre, du moins au sens propre du mot, tout en risquant sans cesse de finir soit éventrés par une mine, soit coupés en deux par une torpille, à la suite de quelque effroyable drame que les communiqués passeront sous silence ; mais que ce sera grâce à eux ; grâce aux arrivages que permettra leur incessante et périlleuse veille sur les grands chemins du large, que deviendra possible la victoire finale de nos armées de terre ; enfin que l’empire de la mer sera gagné ou perdu, sans que soit peut être livrée une seule bataille navale définitive. Certes non, rien de tout cela n’apparaissait à ceux qui appareillaient de Brest, conservant l’illusion qu’une guerre avec l’Allemagne pouvait être loyale et de franc jeu.


Ayant doublé Ouessant dans la nuit du 1er août, la division Le Cannelier arrive à Cherbourg le lendemain à trois heures du soir, et complète immédiatement son charbon. La première division achève ses derniers préparatifs. Les escadrilles de torpilleurs et de sous-marins occupent déjà leurs postes de grand’garde. La communication avec la terre est autorisée jusqu’à six heures, où tout le monde devra rallier le bord. On imagine les scènes qui devaient se passer dans les rues de Cherbourg, par ce brûlant après-midi d’été, quand des milliers de matelots en pantalon et chemise de toile blanche faisaient leurs adieux à la terre, et peut-être à la vie ! En voici un aperçu, emprunté à M. l’enseigne de vaisseau Guiçhard, qui sortait de l’Ecole navale et venait d’embarquer sur la Marseillaise : « Cinq minutes avant que pousse le canot-major, je songe qu’un carnet de notes s’impose avant de partir en guerre. J’ai acheté celui-ci dans une librairie du quai. La porte de la boutique encadrait, sous un pan de ciel bleu, les embarcations de l’escadre attendant leurs permissionnaires et laissant claquer en pleine lumière les pavillons du dimanche, tout tiers de leur