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neuve dignité. Les Cherbourgeois en promenade dominicale discutaient devant les affiches de mobilisation à peine sèches ; des matelots embarquaient, lourds, se demandant pourquoi rentrer si tôt un jour de bordée, et des femmes en cheveux, dans les groupes de cols bleu clair, mêlaient leurs adieux aigus aux objurgations des patrons de canots à leurs brigadiers. Ce départ a peu différé des autres. Des marins qui s’en vont au large partent toujours vers l’inconnu, et vers un inconnu hostile, qu’il y ait ou non bataille en perspective… Quelques derniers pas sur la terre ferme, en songeant aux familles inquiètes et lointaines auxquelles nous tenons encore par le sol, et puis nous embarquons joyeusement, à notre tour. La rade, cependant limitée aux lignes rases de la digue interminable, était souriante et sans ride, et dans l’agitation ensoleillée du premier dimanche d’août, une Marseillaise de circonstance sanguinolait dans un accordéon plaintif. »

Le soir, toutes les chaudières sont poussées, les équipages mis aux postes de veille. Le Dupetit-Thouars est désigné pour appareiller et ouvrir le feu contre tout zeppelin qui se montrerait : engins encore nouveaux que l’on redoutait beaucoup plus qu’ils ne le méritaient. A minuit cinquante, arrive le premier ordre de départ, fixé à cinq heures du matin. Ensuite, l’avis relatif aux mouvemens des escadres allemandes, ce qui porte la fièvre de l’attente au paroxysme. Les anciens songent à tout v ce qu’il ne faut pas oublier en vue du combat, tandis que les jeunes s’endorment en faisant des rêves de gloire. Enfin, à deux heures, c’est le radiotélégramme enjoignant d’aller sur-le-champ barrer la route à l’ennemi. J’avouais, un peu plus haut, ignorer le nom de son rédacteur. Mais, quel que soit celui qui l’a rédigé, la responsabilité en appartient au ministre d’alors, le sénateur Gauthier, ainsi qu’à son chef d’état-major général, le vice-amiral Pivet, — les deux mêmes qui, le lendemain, prescriront au commandant en chef de notre armée navale en Méditerranée de suspendre tout autre mouvement afin de courir sus au Goeben et au Breslau. Et profitons de l’occasion pour reconnaître qu’ils surent prendre les graves initiatives commandées par une situation des plus difficiles. Nous avons dit ailleurs[1] comment furent conduites les premières opérations

  1. Dans Nos Marins à la guerre, 1 vol. chez Payot.