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Lorsque le sang français, de 1854 à 1856, coula pour la question des Lieux Saints, lorsqu’en 1860 il coula pour les Maronites, Rome et l’Europe apprirent que, même au XIXe siècle, notre glorieuse prérogative nous imposait d’austères devoirs et parfois d’onéreux sacrifices, et qu’allègrement nous les acceptions. Elle s’est maintenue jusqu’au matin de la Grande Guerre : aujourd’hui l’avenir en est indécis comme toutes les destinées du monde. L’histoire a d’amusans retours : on verra peut-être ce protectorat, dont l’origine fut une causerie un peu compromettante entre la vieille France et l’Islam, devenir un jour le point de départ d’une reprise de conversation entre une tout autre France et une autre souveraineté religieuse.

Les méthodes de notre protectorat dans le Levant furent à certains égards calquées en Chine par le second Empire. La monarchie de Juillet avait obtenu que la liberté d’être chrétiens fût rendue aux Chinois ; le baron Gros, ambassadeur de Napoléon III, compléta l’œuvre. Après avoir fait déclarer inviolables les propriétés des missionnaires, il s’entendit avec le Céleste Empire pour élaborer des formules de passeports spéciaux qui seraient délivrés aux missionnaires de toutes nationalités sur la demande exclusive de la légation de France. La France aspirait, dans l’Extrême-Orient comme dans le Levant, à devenir, si l’on ose dire, l’universelle chargée d’affaires de l’Eglise catholique. Rome, il y a trente ans, songea sérieusement à installer un nonce à Pékin : Lefebvre de Béhaine intervint. L’activité de son rôle, à défaut même de souvenirs qui nous sont chers, suffirait pour ramener souvent son nom sous notre plume. Il remontra obstinément qu’une nonciature était inutile, puisque là-bas il y avait la France ; M. de Freycinet encourageait sa fermeté. Et la France garda, là-bas, ses devoirs et ses privilèges.

Onze siècles en arrière, saint Boniface, — un saint très discuté par certains Allemands d’aujourd’hui parce qu’il tentait, au nom du Pape, de civiliser la Germanie, — écrivait à Daniel, évêque de Winchester : « Sans le patronage du prince des Francs, je ne puis ni gouverner le peuple des fidèles, ni corriger les clercs, les moines et les nonnes ; sans ses instructions, je ne puis parvenir à empêcher en Germanie les rites des païens, les sacrilèges des idoles. » Voilà l’un des premiers textes de l’histoire, concernant la protection française donnée aux