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Alan Seeger


Parmi les poètes morts jeunes, aucun n’est mort plus aimé des dieux, ni pour un idéal plus haut, que le jeune Américain Alan Seeger, tombé en 1916 au champ d’honneur, sur nos tranchées reconquises de Belloy-en-Santerre.

Sa vie brève a enfermé, comme un flacon étroit un violent parfum, les frémissemens enthousiastes, les ravissemens d’âme juvénile, que l’expérience et le chagrin détruisent inévitablement dans l’âme de ceux qui vivent longuement : « Depuis l’enfance j’idolâtrais la vie… Mon séjour terrestre m’était une perpétuelle et tremblante occasion de joie[1]… » Alan Seeger acceptait la vie comme un don glorieux : tous les chants de ses Juvenilia entonnent des hymnes à la beauté du monde. Ils appellent les hommes à une fête divine ; ils versent dans leurs veines un sang rajeuni d’allégresse, leur font entendre le silence des forêts, la respiration de la mer ; admirer la félicité des flots, la diligence de la terre, la bienfaisance du soleil ; adorer la puissance de la volonté et l’attente de tous les prodiges.

Avec Gabriele d’Annunzio, le grand animateur latin, Seeger eût pu s’écrier : « Pan n’est pas mort ! Moi, je le chanterai. Vie ! ô don terrible du Dieu à ma soif, à ma faim d’un jour, ô vie, ne dirai-je pas toute ta beauté[2] ? »

La splendeur de l’univers avait, aux yeux d’Alan, une force de fascination telle que même l’existence du mal et de la douleur ne pouvait arriver à l’obscurcir ; il avait l’intuition,

  1. Alan Seeger, Poèmes, 1916.
  2. Gabriele d’Annunzio, Laus Virae (vol. 1).