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ALAN SEEGER.

l’eau marine, ou cette mer chaude, à la force infatigable, au sourire inextinguible, aux baies multiples : jardins de la mer semés de forêts de coraux et d’algues frémissantes, gemmés de sables diamantés, animés de fuyans et étranges fruits vivans ? Quand aurait-il fini de s’émerveiller, de jouir de toutes ces harmonies ?

« Étoile du Sud qui, à travers le brouillard d’Orient, au tomber de la nuit, vers Tampico ou Belize, salues le marin, te levant des mers où, tout d’abord, est né en moi ce romantisme qui, par des rêves fabuleux, a chassé mes soucis utilitaires ; ô lampe qui guides l’amant mexicain a la peau de sombre couleur vers le rendez-vous d’amour, par-delà les étendues de la jungle, vaporeuse d’orangers en fleurs et de tubéreuses, parmi les palmiers où la beauté l’attend… toi, sois mon étoile, lumière des tropiques[1]. »

Au moment même où la nature enflamme ainsi les sens du jeune homme, les lectures allument tout autant son esprit, avide de connaissances. La bibliothèque célèbre de Boston le captive plus encore peut-être que les ardens paysages mexicains ne le séduisent. L’art du vieux monde, il le fait son art : il traduit l’Arioste, il traduit Dante ; il raffole des poètes anglais, des poètes français. Son désir est de visiter les lieux qu’ils visitèrent, de baiser, sur la terre ancienne, la trace jamais effacée de leurs pas. Et ce désir l’obsède, le poursuit.

Enfin, vers sa dix-neuvième année, comme sa famille se réinstallait à New-York, il la décida de le laisser partir pour la vieille Europe :

« Là, disait-il, est mon destin. »

Les premières années de Paris furent pour le jeune littérateur américain des années de joie débordante, des années « vécues selon son cœur. » Perché sur la Butte, au milieu des étudians et des artistes, en pleine vie de Bohème, il exultait en son âme romantique : « Il est doux de vivre parmi la foule des camarades et des amans ; partout ici règne une loi qui est saine, un amour qui est libre, et des hommes de toutes

  1. Alan Seeger, Poèmes, 1916.