Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/517

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je crois qu’en général les jeunes gens répugnent au Bushido. Mais la plupart entreront dans les services administratifs, et, par reconnaissance pour la force qu’il leur prête, ils s’en feront les soutiens. Et puis il ne faut pas s’imaginer que les idées, même modernisées, aient au Japon les mêmes arêtes vives que chez nous. Les mots par lesquels nous sommes bien obligés de les traduire, dieu, foi, religion, culte, leur donnent une figure qui produit une impression analogue à celle des paysages japonais dans la peinture européenne, quand on est habitué à la peinture japonaise : ce n’est plus cela. Les conséquences rigoureuses du Bushido rendraient impossible la vie des officiers et des fonctionnaires convertis au christianisme. L’ancien recteur de l’Université de Tokyo faisait preuve de logique, lorsqu’il déclarait que la constitution nationale ne permettait pas de placer au-dessus de l’Empereur et de ses ancêtres le Dieu des chrétiens, et lorsqu’il déplorait que deux cent mille Japonais se fussent mis en opposition avec la loi fondamentale de leur pays. Ces deux cent mille Japonais vivent cependant, non sans quelques tracasseries, mais sans persécution. La religion du Bushido n’empêche pas plus les fureurs de la politique. On n’attaque jamais l’Empereur ; mais on attaque ses conseillers et ses ministres. Les rescrits sont sacro-saints ; mais l’interprétation en reste libre. L’Empereur recommande-t-il à ses sujets l’économie et la simplicité dans les mœurs et dans les vêtemens ? On accueille son message avec vénération ; mais ceux dont il blesse les intérêts ou les goûts se tournent vers le premier ministre et le blâment âprement d’avoir sollicité ce nouveau rescrit ou de ne pas avoir su l’expliquer. La presse japonaise est une des plus indépendantes du monde. Le gouvernement ne la subventionne pas, et le Japonais écrit beaucoup plus sincèrement qu’il ne parle. L’écritoire lui communique la même franchise que ses petites tasses d’eau-de-vie de riz. Le fonctionnaire, oui, le haut fonctionnaire qui dans ses entretiens ne se départira pas d’une étrange circonspection, le pinceau à la main, critiquera le gouvernement sur le ton le plus agressif.

Ce sera d’ailleurs au nom du Bushido. C’est au nom du Bushido que les hommes politiques, les ministres, les états-majors, les bureaucrates seront violemment pris à partie. C’est au nom du Bushido qu’auront lieu des soulèvemens populaires qui feraient croire à une révolution prochaine. Dans les pre-