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miers mois de 1914, le Japon fut bouleversé par un scandale d’origine allemande dont presque toute l’administration de la marine était éclaboussée. Le ministère qui voulut tenir le coup ameuta le peuple contre lui. Le syndicat de la presse résolut d’en appeler à l’Empereur ; et, cet appel n’ayant eu aucun résultat, l’opposition parlementaire décida d’envoyer au temple d’Isé des délégués qui présenteraient une protestation motivée à la déesse du Soleil, aïeule de la lignée impériale. La même délégation se rendrait ensuite au tombeau du père de Sa Majesté, près de Kyôto. Avant qu’elle fût partie, le ministère avait donné sa démission. Ce geste des représentans de la nation, qui se tournent vers le Soleil et qui le font juge des noirs desseins ourdis autour de son petit-fils, ne manquerait pas d’une certaine grandeur, s’il ne fallait tenir compte du goût des Japonais pour les attitudes théâtrales et du désir des parlementaires d’impressionner la foule. Mais le moyen qu’ils employaient n’est pas à la portée des parlemens de toutes les monarchies constitutionnelles ; et il prouve chez cette foule la solidité d’une croyance dont je n’étais pas le seul à penser jadis que les idées européennes l’avaient mortellement atteinte. J’écrivais en 1902 : « Autant que j’en puis juger, la Restauration impériale aboutirait à l’idée consciente de la patrie moderne : loin de s’en trouver fortifiée, la fidélité à l’Empereur se dissoudrait dans un patriotisme plus large, mais qui, pour la sécurité du pays, gagnerait à s’y condenser. » Il semble s’y condenser de plus en plus. Et c’est tout le Bushido.

Il arrive quelquefois que les idées et les sentimens, comme les êtres et les plantes, ne paraissent jamais plus vivaces et plus beaux qu’à la veille de décliner et de mourir. Sommes-nous en présence d’une vieille tradition manufacturée, galvanisée et qui jette un suprême éclat, ou d’une foi rajeunie, plus profonde et qui aurait puisé jusque dans les toxiques européens une énergie nouvelle ? Le Bushido a pour lui des prodiges d’héroïsme et la gloire des champs de bataille et l’orgueil national. Il a contre lui toutes les importations étrangères… Je m’arrête. S’il y a des rats dans ma maison, c’est assez qu’il y en ait : je ne veux pas qu’ils rient.

André Bellesort.