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pénombres subtiles des portans et des rideaux, le mouchetage et la bigarrure des reflets venus de tous les côtés à la fois, contradictoires et heurtés, n’ont jamais trouvé interprète si fidèle. Il donne la sensation exacte de tous ces mensonges de la lumière. Il est parfaitement naturel devant ce qui n’est pas la nature et rend avec une intense vérité ce qui n’est pas vrai.

Enfin, il a le don le plus nécessaire, le plus inexplicable, et le plus incommunicable du peintre : le don du coloriste. La couleur, chez lui, se confond souvent avec la valeur. Celle-ci est tellement juste et fine que, quelle que soit la couleur qu’elle exalte, mesure, dose ou assourdit, pourvu qu’elle soit légère, elle chante harmonieusement. Même dans le monochrome, on sent le coloriste, comme on sent un poète, même dans la prose. De fait, un de ses chefs-d’œuvre, — qui est un chef-d’œuvre, — la Répétition d’un ballet sur la scène, au Louvre, est presque un monochrome. Mais ce n’est pas là toute la qualité de sa couleur ; elle en a de plus éclatantes : ses roses, ses noirs, ses jaunes, ses blancs sont exquis et font penser aux meilleures sonorités de l’Ecole espagnole. La finesse de l’œil ne peut être dépassée. Quant à la main, elle est d’une habileté prodigieuse. Sa facture a changé plusieurs fois. De lisse qu’elle était au début, elle est devenue plus vive, parfois même emportée. Dans le pastel, surtout, elle a quelque chose de mobile, de léger, d’impétueux, qui fait plus d’une fois penser à l’un des maîtres qu’il adorait, à La Tour. Degas se définissait lui-même : « un La Tour canaille. » Pour exagéré que soit le mot, dans sa modestie, il nous définit parfaitement ses ambitions de coloriste et le côté le plus séduisant de son art.

C’est, en effet, un art essentiellement français et français du XVIIIe siècle, c’est-à-dire fait de mesure, de tact, de notes justes, de touches discrètes, de légèreté, d’esprit. Il y a tel tableau de Lancret, le Colin-Maillard par exemple, qui est à Stockholm, où Ton sent que commence la recherche du geste et du pas, de l’inflexion nuancée, que poursuivra Degas. Sauf dans une ou deux figures de Blanchisseuses, et sa scène Au café de la salle Caillebotte, au Luxembourg, l’expression n’est jamais appuyée. Il s’arrête toujours en deçà du point précis où l’accident dépasserait le type, où l’observation deviendrait ironie. Quelquefois, il ne s’arrête pas de beaucoup… Un pas imperceptible, et ses imitateurs sont dans la caricature, où il n’est pas, où il ne glisse