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ce qu’il devra faire. Les jours se passaient à ces travaux. Le soir, on montait sur le fort, on creusait des tranchées, on refaisait le boyau qui traversait la cour et reliait la casemate aux tourelles extérieures. On plantait des réseaux de fils de fer, que le bombardement détruisait le lendemain. On recommençait la nuit suivante ; c’était l’ouvrage de Pénélope. Car le tir devenait chaque jour plus dense et plus compact : ce n’était plus, comme au début, le tir d’embêtement, c’était déjà le tir voulu, systématique. On crevait de soif. Il n’y avait dans les locaux qu’une citerne, contenant trois ou quatre cents litres d’une eau malsaine ; l’autre citerne était à sec. Il fallait économiser parcimonieusement cette eau si rare, à goût de Javel, comme une ressource précieuse. Tous les jours, au rapport, l’adjudant venait avec sa règle me rendre compte du niveau. Toutes les nuits, une corvée descendait à une petite source distante de quelques centaines de mètres, à mi-côte dans le ravin, et remontait dans des bidons la provision de la journée. Tout cela sous les marmites, les barrages, les rafales de gaz, à travers mille difficultés. Du reste, rien à signaler, comme disent les communiqués, et je n’ai pas encore d’histoire.

« Mon histoire, c’est exactement le 21 juin qu’elle commence. La veille déjà, nous avions pris quelque chose de si brutal en fait de marmitage, que, dès ce moment-là, je me tenais pour averti. Les Boches ne s’amusaient plus aux bagatelles de la porte : c’est bien à nous qu’ils en voulaient. C’était si clair que je mis mes affaires en ordre, et je pense que chacun en faisait autant pour son compte. L’abbé (il y a toujours un curé chez les infirmiers) n’arrêtait pas de confesser dans un coin du couloir. Il s’est fait tuer deux jours après, et fort bien tuer, le pauvre cher homme… Notez que tout cela se passait sans le moindre affolement, sans trace d’émotion apparente, aussi simplement que tous les jours. Je prenais mes dernières mesures, pendant que je le pouvais encore ; il fallait compter que bientôt le téléphone serait coupé : c’est la première chose qui arrive quand on est attaqué, c’est-à-dire au moment où on en a le plus grand besoin. Je fais donc monter des paniers de pigeons, et je finis même par obtenir, tout à fait à la dernière heure, ce que je réclamais à tous les échos depuis quinze jours, quelques caisses de boîtes à mitraille ; c’est un moyen bien suranné, bien vieux jeu, bien rococo, mais mon instinct me disait que je m’en