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certains cerveaux s’hypnotisent sur les difficultés que présente l’estuaire de la Jade, qui se confond avec celui de la Weser. Pourquoi ne considèrent-ils pas de préférence l’estuaire de l’Ems et, mieux encore, celui de l’Elbe ? Là, rien de semblable au coude délicat qu’il faudrait faire dans un chenal resserré pour doubler l’ile de Wangeroog, qui doit être actuellement garnie de canons puissans. Encore observerais-je qu’il ne faut pas s’en laisser imposer par les chiffres de sondes que fournit la carte officielle allemande pour cette passe. Ces chiffres sont faux. « Nous ne nous considérons pas comme obligés de donner des sondes exactes, m’avouait, en 189…, un important personnage. Il suffit que nos altérations systématiques ne puissent nuire, en temps de paix, à la navigation commerciale. » En effet, en inscrivant 7 mètres au lieu de 10, par exemple, on ne fait qu’inciter le capitaine de « cargo » à plus de prudence ; mais on prétend faire croire — et on y réussit ! — aux marines étrangères qu’il est impossible de faire passer un cuirassé sur le point considéré.

Mais, je le répète, laissons la Jade et la Weser. L’importance que l’on attribue au premier de ces estuaires n’est qu’un souvenir de la guerre de 1870. A cette époque, « on bloquait la Jade, » et l’on eût bien voulu pouvoir y pénétrer. Or, justement, on n’avait pas l’outillage nécessaire pour entreprendre cette opération et pour attaquer Wilhelm’shaven. Je laisse, par parenthèse, au lecteur le soin de méditer sur la valeur des enseignemens que nous avons su tirer de l’histoire maritime.

Et pourquoi bloquait-on la Jade et pas l’Elbe ? Parce que c’était dans la Jade que se tenait la force navale de la Confédération du Nord et que, dans ce temps, le canal maritime n’existait pas, qui a si profondément modifié les valeurs stratégiques, dans la Mer du Nord et dans la Baltique.

Cessons donc, ou bien de généraliser à outrance en disant : » les passes des estuaires allemands sont très difficiles, » ou bien de particulariser sans discernement en attribuant à la navigation dans les estuaires[1]de l’Elbe et de l’Ems des difficultés qui n’existent que dans celui de la Jade-Weser.

J’entends bien que l’on contestera que l’Elbe et l’Ems soient si faciles ; et, évidemment, il faut s’entendre encore sur la portée

  1. Nous ne considérerons ici que la partie extérieure de ces estuaires, celle par exemple, où commence l’emprise des ouvrages de côte sur le plan d’eau.