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des plus beaux paysages du monde. Au retour, le général Baumann, gouverneur de Corfou, vient saluer le Haut Commissaire, et l’amiral Gauchet se rend à bord du Mangini pour prendre congé de lui.

Le départ a lieu à dix heures. On navigue dans le long canal de Corfou fermé à ses deux extrémités par des barrages, ce qui permet à l’escadre d’y faire en toute sécurité ses tirs de combat. Le barrage Sud franchi, les deux torpilleurs longent la côte Ouest de Sainte-Maure, l’antique Leucade. Voici le promontoire célèbre où Sapho, la poétesse, se précipita dans les flots pour mettre un terme aux dures souffrances d’un amour non partagé. Tout près, c’est l’île d’Ithaque, la patrie d’Ulysse, et de l’autre côté Céphalonie. Voici, à l’entrée du golfe de Corinthe, Missolonghi où mourut Byron !…Mais ces beaux souvenirs ne retiennent qu’un instant l’esprit de nos voyageurs, absorbés par de tout autres préoccupations.

Vers huit heures, les torpilleurs pénètrent dans le canal de Corinthe, étroit couloir de cinq kilomètres, taillé à même le roc. A l’entrée, un détachement français fait le contrôle des fusils grecs expédiés dans le Péloponèse, conformément aux injonctions des Alliés. Après dîner, vers dix heures, les torpilleurs passent en vue du Pirée et mouillent à Keratsini, dans la rade de Salamine. M. Jonnart s’installe sur le cuirassé la Vérité. La soirée du 5 juin et toute la journée du 6 sont employées à des conférences avec M. Guillemin, ministre de France, sir Francis Elliot, ministre d’Angleterre, le général Braquet, notre attaché militaire, M. de Castillon, secrétaire de la légation de France, qui va remplir les fonctions de chargé d’affaires, le commandant Clergeau, notre attaché naval.

Ce qui se dégage pour M. Jonnart de ces conversations, c’est qu’à Athènes, ville de bavardages, de graves indiscrétions ont été commises. Constantin, prévenu de tout, sait, à n’en pouvoir douter, ce que signifie pour lui l’arrivée de la mission : il a eu tout loisir de se préparer à la résistance. Des gens qui se prétendent bien informés de l’état des esprits et des intentions du Roi, affirment que l’opération projetée va faire couler des torrens de sang. Et voici qui est plus grave : les craintes qu’ils expriment ont déjà trouvé leur écho dans certaines capitales. Ne sont-elles pas de nature à faire hésiter, à