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Parlement, quelques calculateurs ont parlé d’autres chiffres. M. Leroy-Beaulieu a demandé pour le début 175 millions par an, et M. Charles Richet un premier fonds d’un milliard. Milliard plus nécessaire que celui des émigrés, soit ; mais c’étaient les émigrés qui se le votèrent, en ne laissant à la nation qu’à le payer, et ce sont les célibataires qui voteraient et paieraient celui-ci. Celui-ci et bien plus : car la France ne sera pas hors du péril avant le jour où elle s’accroîtra, comme elle faisait jadis, comme ses rivaux font encore, de 500 000 à 1 000 000 d’hommes par an. Si c’est avec de l’argent qu’il faut acheter tant de naissances aux époux jusqu’ici satisfaits et félicités de vivre en bons célibataires, quelle somme exigeront-ils et combien les émigrés auront coûté moins cher !

Il s’agit donc pour nos célibataires de rendre pire leur sort ? Or notre dernière religion d’Etat, le culte du bonheur personnel, a livré la société à l’égoïsme. C’est contre ce sentiment que se briseront les efforts tentés pour la famille. Elle n’a pas cessé de paraître à la majorité de ceux qui sont les maîtres en France la créancière importune qu’ils ne sauraient doter sans s’appauvrir. Ceux qui n’ont pas voulu s’embarrasser de leurs propres enfans consentiront-ils à s’embarrasser d’enfans étrangers ? Sans doute l’intérêt général commande : mais où ces juges de l’intérêt général ont-ils appris à préférer les autres à eux-mêmes, à constituer un privilège dont ils s’excluraient ? Les mouvemens réflexes de leur cupidité saisissent tout ce qu’elle peut dérober au partage pour en jouir seule. Le jour où la velléité de réserver aux enfans de familles nombreuses un rien, fût-ce les bourses des écoles, se transformerait en projet ferme, les pères qui ont consenti tout juste à subir la charge d’un ou deux enfans accepteraient-ils de renoncer à cette éducation gratuite et d’appesantir leur fardeau pour alléger celui d’autres pères ? Pour que les fonctions publiques s’entrouvrissent comme une récompense aux chefs de nombreuses familles, l’élimination des célibataires devrait être consentie par un gouvernement de célibataires qui perdrait trop à perdre ce moyen d’influence sur les célibataires ses cliens. Moins encore les réductions d’impôts soulageront-elles les chefs de famille, tant que ces réformes seront à la merci de ceux qui ne sont pas chefs de famille. Dans le pays, compterait-on sur la majorité des contribuables pour accepter de bon cœur la