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Voilà l’origine de la perpétuité familiale. Sans cette contrainte surhumaine, les lois les plus sages, les avantages les plus habilement offerts par l’Etat ne parviendront pas à équilibrer dans les calculs de la volonté les mauvais risques apportés par la famille à l’existence individuelle. Par cette contrainte, toutes les oppositions de l’égoïsme sont détruites. Et le père n’obtiendrait pas autorité dans l’État, et les lois continueraient à dissoudre le foyer des paysans, et l’incertitude continuerait à compromettre le sort des ouvriers, et la pauvreté à solliciter de son mauvais conseil la plupart des époux : si la foi restait pleine resteraient pleins les foyers.

Mais, par cela même que la foi nous élève au-dessus de notre nature, elle est un effort et notre nature, par sa pesanteur, nous sollicite sans cesse de redescendre. La terre qui nous attire semble monter vers nous, nous ressaisit, et tous les reliefs du sol, qui grandissent de notre abaissement, nous dérobent l’étendue du ciel. Plus nous descendons, plus, pour le voir encore, il nous faut reprendre nos yeux à ce qui les retient et relever la tête déshabituée de cette fatigue. Les uns, qui se laissent tomber jusqu’à l’enlizement, peu à peu engloutis par la destinée présente, n’appartiennent plus qu’à la matière. D’autres, par une fidélité d’exilés à la patrie lointaine, conservent la croyance divine : mais ici pas d’équivoque. La profession de foi la plus catholique ne confère pas, par la seule vertu des formules, une immunité contre les pires faiblesses. Et ce n’est guère la posséder que l’avoir seulement sur les lèvres. Des chrétiens ressemblent-ils au païen :


… qui sentait quelque peu le fagot
Et qui croyait en Dieu pour user de ce mot,


leur foi ne gouverne pas l’habitude de leurs actes, ne les garde ni du mensonge, ni de l’avarice, ni de l’envie, ni de la cupidité, ni de l’injustice, ni de la galanterie, et leur infidélité habituelle aux devoirs n’a pas chance de se transformer en fidélité au devoir le plus incommode, la fondation des familles. Ce sont des croyans nominaux, leur titre est un titre nu et, à ne pas se distinguer des incrédules, sinon par lui, ils font tort à la religion qu’ils professent, car elle semble ou impuissante à les rendre meilleurs, ou complice de leur duplicité à unir les