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est à pic, très inhospitalière. Elle se creuse en anses profondes, au fond desquelles se disposent de larges dalles en gradins que la mer vient couvrir et d’où elle s’en va de degré en degré par larges nappes transparentes et en cascades d’écume. De chaque côté de ces gradins, le flot s’est creusé des retraites dans la roche notre et poreuse, des défilés, de longs couloirs où pénètre la vague, et qui l’hiver doivent subir de formidables assauts, quand, bondissant sur l’escalier de pierre, l’eau s’élance, emplit la crique, les défilés et les grottes, et vient jeter sa fureur jusque sous les murs du tombeau. Non loin du marabout, à quelque cinq cents mètres, une kasbah ruinée, construite jadis pour surveiller la côte, et toute pareille à celles que j’ai vues de Casablanca à Rabat, augmente encore la solitude. Personne n’y habite plus. Les cigognes même l’ont quittée, sentant venir l’automne, pour appareiller vers le Sud… ou vers le Nord, je ne sais, car nul ici ne peut le dire. Entre la mer stérile et un long champ de vignes, ces rouges murailles édentées semblent plus mortes que le tombeau ; et dans cette solitude, les deux bâtisses sans vie, l’une blanche et l’autre rouge, racontent à la vague impatiente toute une longue histoire de religion et de guerre.

Aujourd’hui, entre la vieille kasbah et le mausolée du saint, de riches tentes bien dressées animent l’étendue habituellement si déserte. Des chants, des violens, des cymbales retentissent entre les hauts murs de toile sur lesquels sont posés tantôt des toits pointus comme le capuchon d’un burnous, tantôt des toits allongés en forme de carènes. Devant les portes relevées flottent des drapeaux multicolores ; des cavaliers étincelans galopent dans la poussière rouge. On dirait que tout ce monde fait le siège de ces murs ruinés : c’est un camp au bord de la mer, quelque chose de très ancien, de primitif, de très noble, un chant d’Homère ou de Virgile.

On célèbre la fête du saint, le moussem de Sidi Moussa, le grand pardon de Salé. Devant la porte du tombeau, la foule va et vient sans cesse, du même mouvement inlassable que la mer au fond des anses. Les danseurs des confréries forment de vastes cercles blanchâtres, autour desquels se rassemble la multitude des burnous ; et les tambours et les flûtes, déchaînés en tempête pour exciter leurs danses, ne laissent percevoir qu’à de lointains intervalles les salves des cavaliers qui font la