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chapelle éclatante. La main jette une pièce blanche : alors, face à la donatrice, le nègre lui chuchote à l’oreille une bonne aventure au nom d’Abd el Kader Djelali.

Et voici un autre cercle, plus haillonneux encore, les adeptes de Sidi Haddi, accroupis autour d’un misérable tapis sur lequel sont posés une pauvre théière et un pot de fer-blanc plein de menthe parfumée. Ce sont des errans, qui ne vivent que d’aumônes, ceux qui sont entrés dans la misère dès le premier jour de l’existence et ceux que la destinée a conduits dans l’infortune par ses mille chemins : des gens ruinés par un caïd, dépouillés par un cadi, trompés par une femme, et qui, dégoûtés des hommes, se réfugient dans le vagabondage, n’attendant plus désormais de secours que du hasard, et de bonheur que du kif qu’ils fument sans arrêt dans leurs pipettes nacrées.

Au milieu de cette foule de danseurs et d’agités, comment démêler dans quelles proportions se mêlent le goût du vertige commun aux religions primitives, les dispositions mystiques de ces populations marocaines, et enfin la misère qui a toujours rejeté vers les puissances occultes les désespérés du monde ?… Et tout près de ce menu peuple, pour qui le suprême bonheur semble être de s’évader de la vie par le tournoiement et la danse, quel repos, quelle volupté sous les pavillons de toile où, nonchalamment étendus, les chefs des grandes Confréries, dont les adeptes se démènent dans les cercles frénétiques, les descendans du Prophète, le Pacha, les Caïds des tribus venus assister à la fête, et les riches bourgeois de Salé et de Rabat se livrent au délicat plaisir de l’immobilité, du silence et de la musique !

Rien de plus noblement antique que ces tentes au bord de la mer. Elles sont toutes de toile écrue, décorées à l’extérieur de dessins noirs, en forme de créneaux stylisés pour indiquer que ces murs ont le caractère d’un rempart ; mais comme ces créneaux ressemblent davantage à des alcarazas, on croit communément que cette décoration symbolise la fraîcheur de l’eau dans l’aridité du désert. De longs piquets, fichés obliquement en terre, relèvent les portes des tentes, laissant apercevoir les bandes d’étoffes colorées, découpées en arceaux, qui forment la tenture des murailles, les tapis de haute laine fabriqués dans la montagne, ceux de Rabat pareils à des jardins fleuris, ceux de Salé composés de larges lignes noires, blanches, jaunes ou