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elle ; et le Pacha se penche pour me dire à l’oreille que le tambourin qui s’agite, et va et vient du violon à la guitare, avec son bruit de bourdon et ses folles sonnettes, c’est la vieille entremetteuse, toujours présente dans les amours arabes, et qui s’efforce de réunir et l’amoureuse gémissante et son amant passionné.

Tout à l’heure, visible encore par la porte de la tente, la lune a monté dans le ciel et ne laisse plus voir que la nuit qu’elle illumine et les reflets de sa clarté sur les mendians qui attendent dehors la fin de notre repas pour s’en partager les restes. Elle règne maintenant sur la fête, semble protéger le campement, veiller sur les animaux, animer les fantômes qui errent le long de la falaise, et soutenir de sa magie les orchestres de cymbales dont le tapage continue de se mêler aux mélopées langoureuses des violens et des guitares. Dans cette pénombre lunaire, l’Océan qui, tout le jour, semblait avoir résigné son pouvoir, retrouve sa puissance et domine tous les bruits épars. A quelle heure du temps sommes-nous ?… Si un bateau passe au large, voit-il ces pavillons éclairés ? Soupçonne-t-il cette fête de religion et d’amour, au milieu des chevaux qui s’ébrouent, sur cette côte rocheuse et brutale ? Pas un cri dans cette foule ; pas d’autre voix dans cette multitude que la voix des chanteurs ; pas d’autre bruit que le mélange des instrumens et des airs, et le tintement des sonnettes qu’agitent les nègres porteurs d’eau. Dans la grotte de Sidi Moussa, les femmes, enhardies par la nuit et cachées dans les couloirs des rochers, se livrent davantage à la mer. Devant le tombeau où brillent les veilleuses et le lustre aux cent bougies, des personnages accroupis devant des chandeliers de cuivre mettent aux enchères les cierges que les pèlerins, dans la journée, ont apportés au marabout. A l’écart de la Koubba, dans un endroit ténébreux, un tas de cailloux consacré, où l’on jette son mal en y jetant sa pierre, sert d’oreiller aux fauconniers d’un caïd ; et leurs oiseaux, posés au sommet de ces pierres, toutes chargées de pensées humaines, avec leurs yeux de feu et d’or, semblent les oiseaux du destin.

Les repas sont achevés sous les tentes. Il en est de silencieuses, où les gens étendus sur les coussins se reposent, causent doucement, cependant qu’un serviteur prépare les tasses de thé et les distribue à la ronde. Il en est où l’on joue