Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/922

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans son ensemble, est bien excusable d’avoir identifié le nom de Rodin avec les parties les moins fortes et les plus « intentionnelles » de son œuvre, puisque l’autorité des littérateurs, des philosophes, en un mot de « tout ce qui compte, » lui assurait que c’en était la partie la plus haute, la plus vivante et la plus caractérisée.

Il l’a identifiée encore avec autre chose : avec cette littérature même, avec les formules obscures et hyperboliques destinées à louer l’artiste, avec les sarcasmes décochés à ses confrères, avec des théories transcendantales sur l’Art édifiées par des journalistes pour expliquer aux autres ce qu’ils n’entendaient guère eux-mêmes : — un tel pathos que le Médecin malgré lui est clair en comparaison.

Quand parut le Balzac en 1898, le public récalcitrant fut mené d’un train qui ne laissa pas de considérablement l’ahurir. On daigna, au début, lui expliquer ce qu’il y avait de beau dans ce plâtre. On lui dit que l’auteur était « arrivé à réaliser un travail de sculpture comparable seulement au travail voilé des artistes égyptiens. » — « C’est bien, là, le Taureau littéraire qu’était Balzac ! » s’écriait l’un d’eux, et il ajoutait pour mieux se faire entendre : « C’est de la sculpture wagnérienne. » Ce « Taureau » était, pour tel autre, une « pyramide accroupie sur le sol, mais dont la cime est dorée par le soleil » et d’ailleurs « plongeant, au-delà des extériorités, dans le gouffre des sensations. »

De plus, ce « Taureau, » ou cette « pyramide, » avait des ailes : c’étaient les manches vides et pendantes de sa robe de chambre, « des ailes brisées… » Comme on s’étonnait de l’énorme cou goitreux du grand homme, un romancier expliquait au public que c’était une « poire d’angoisse. » Il fallait donc voir, là, « un bloc, un monolithe, une de ces colonnes espacées dans l’histoire et qui marquent les grandes étapes humaines. » Un ami de l’artiste l’affirmait : « Ce qu’a été le prodige de son travail, ceux-là seuls le savent qui, jour par jour, étape par étape, ont assisté à la réalisation du monument le plus puissant et le plus pathétique qu’il ait été donné à un artiste de créer… » Qu’ajouter à cette définition : « Il a montré son aisance à se projeter, sa manière d’être divinatrice des états humains, sa vision de proie… ? » Aussi l’auteur concluait-il allègrement : « C’est la raison de notre émotion