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l’Alsace-Lorraine, mais des précautions, d’ordre militaire, politique ou économique, que nous aurions éventuellement à prendre contre l’Allemagne prussienne sur la rive gauche du Rhin ? Il a bien fait, il doit en être remercié et félicité; le souci, de sa part, était aussi légitime que sage ; et, s’il ne l’avait pas eu, il aurait failli aux devoirs de sa fonction. Trotsky n’a plus qu’à compléter son œuvre en publiant parallèlement, s’il peut mettre la main dessus, les conventions et les propositions des Puissances de l’Europe centrale. En attendant, Lénine négocie avec l’état-major allemand, par l’intermédiaire de quelques fantoches, et le plus scandaleux de l’affaire est que le gouvernement impérial a accepté d’emblée de recevoir ces étranges parlementaires. Un aussi haut seigneur que le maréchal-prince Léopold de Bavière s’est dérangé pour eux; et les plus hauts représentans des deux Empires les plus guindés qui soient au monde ont autorisé la conversation.

Répétons-le ; ce serait tout ce qu’il y a de plus scandaleux, si ce n’était bien plus encore instructif ou démonstratif, et l’on eût écrit : « édifiant, » mais un adjectif impliquant une qualité morale hurlerait trop ici. Rien ne prouve mieux que cette bande d’anarchistes est manœuvrée par l’Allemagne, et on le savait ; mais rien, surtout, ne prouve mieux combien l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie ont besoin de la paix, que cette prompte et humble résignation à l’accepter de n’importe qui. Besoin plus fort que la victoire même, puisque c’est au lendemain d’un de leurs plus grands succès de toute la guerre, de leur offensive, étonnamment réussie, sur l’Isonzo, qu’elles se soumettent à cette humiliation. Aussitôt que les commissaires du peuple, dûment et congrûment stylés, ont eu prononcé les paroles magiques, le comte Hertling et M. de Kühlmann ont répondu, de Berlin : « Armistice sur tous les fronts des belligérans; » et la formule demeurait ambiguë : « Tous les fronts des belligérans, » ce pouvait être : les diverses armées de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, d’un côté, de la Russie, de l’autre; mais M. de Seidler a dissipé l’équivoque, en spécifiant, de Vienne : « Dans le dessein de parvenir à la paix générale, » tandis que le comte Czernin saluait tout bas, au nom de l’empereur Charles, sous le déguisement de Trotsky, « le gouvernement russe. »

Le « gouvernement russe, » sensible à ces délicatesses, a émis la prétention de « causer » non seulement pour lui, mais pour nous. Bien entendu, nous avons haussé les épaules. Alors, il a poussé cyniquement sa pointe. Armée par armée, le front oriental est tombé en