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ne partait plus aucun feu. Les Allemands sans doute l’avaient évacuée pendant le bombardement. Mais ils étaient restés dans le cimetière, où s’alluma soudain une fusillade nourrie qui nous prit d’enfilade et culbuta dix de nos hommes[1], dont le second maître Le Roux, « serviteur excellent, » le modèle des gradés. Un moment on put craindre que la progression ne fût arrêtée. En même temps que les marins rampaient vers la barricade, un demi-peloton de dragons avait essayé de gagner dans l’inondation pour contourner par l’Est le retranchement du cimetière. L’eau du shoore offrait encore moins de sécurité que la route. Il n’y avait là que quelques touffes d’herbes, un rideau de saules défeuillés, à travers lequel nos moindres mouvemens étaient aisément repérés. La fusillade claqua tout de suite, couvrant le shoore de ses ricochets. Une moitié du peloton fut en quelques secondes hors de combat. Tout homme qui se montrait était touché inévitablement. C’est ainsi que fut tué un de nos agens de liaison, le matelot boulanger-coq Clareton, « petit Marseillais a la mine intelligente, » fleurant l’ail et la bonne humeur, que le capitaine Le Page avait chargé d’une communication verbale aux dragons. Il s’était tiré indemne d’une première mission. En prit-il trop de confiance ? Au deuxième voyage, il ne se masqua pas suffisamment ; il tomba, et un peu de la gaieté, de la jolie flamme du bataillon, s’éteignit avec lui dans l’eau boueuse. Les dragons durent s’arrêter, mais leur diversion avait permis aux 15 hommes restant du peloton des marins de se glisser jusqu’à la barricade et d’en occuper l’un des angles, où ils étaient momentanément à l’abri.

La chute de cette défense accessoire n’avait pas autrement d’importance d’ailleurs, les Allemands l’ayant abandonnée de leur plein gré pour se concentrer dans le cimetière et dans l’église, où ils se croyaient inexpugnables ! C’était là le donjon de leur résistance, leur gaillard d’arrière, leur sainte-barbe, comme on disait dans l’ancienne marine. Et rien n’était fait, tant qu’on ne les y avait pas forcés. Ordre fut donné cependant à nos hommes de s’accrocher à la barricade, de s’y retrancher et de tenir. Les choses demeurèrent en cet état jusqu’à midi. On se fusillait de part et d’autre, mais ces tirailleries n’avançaient rien ; notre artillerie même, qui continuait à bombarder Saint-

  1. Deux tués et huit blessés, sur 25 hommes engagés.