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quelques secondes tranchées, parapets, caissons à mitrailleuses, tout avait sauté. On ne s’entendait plus. On ne voyait plus rien qu’une succession de grands geysers de fumée noire où dansaient pêle-mêle des torses, des bras, des têtes, des fusils, des croix, des pans de grilles, des couronnes et des bidons. Les quelques Boches, que ce pilonnage effarant n’avait pas mis en bouillie et qui essayaient de gagner au large, étaient pris de face par nos marins et d’écharpe par les chasseurs de la berge Sud, dont la mitrailleuse n’arrêtait pas de faucher. Plus un coup de fusil ne partait du cimetière, soit que toute la garnison eût été nettoyée, soit que ce qui en restait fût incapable de la moindre réaction. Et, quand nos 75 se turent, un silence de mort tomba sur toute la ligne. La voie était dégagée.

Une patrouille de dragons et de marins, sous le commandement du sous-lieutenant Mouquin[1], se glissa aussitôt vers le cimetière. « Nous suivions ses mouvemens, prêts à nous élancer, écrit le lieutenant de vaisseau L…, quand tout à coup nous vîmes surgir de terre des Boches et encore des Boches, sans armes, les bras levés, implorant : « Kamarad ! Kamarad ! » C’étaient les survivans de la garnison du cimetière qui se fendaient. » Mais il en restait d’autres, à l’intérieur des tranchées, « cassés en deux, incapables de se tenir debout » et qui, la tête dans les épaules, ne trouvaient plus la force que de remuer les doigts pour implorer grâce. Au total, avec les blessés, une cinquantaine d’hommes appartenant au 3e bataillon du matrosenregiment qui, la secousse passée, ne cachèrent pas leur satisfaction d’être enfin sortis de ce cauchemar. Ils portaient la tenue feldgrau, la vareuse et le béret des équipages de la Flotte, mais on ne leur avait pas donné, comme à nos hommes, la capote des fantassins. Ils étaient ignobles d’ailleurs, tout gluans d’une vase verdâtre, et nous expliquèrent que, leur « grand sac » de marins demeurant par ordre à l’arrière, il leur était difficile d’avoir des rechanges. Aucun officier ne se trouvait parmi eux.

Après avoir fait occuper le retranchement du cimetière, le capitaine Le Page avait fait fouiller le village. On n’y trouva que des blessés et des morts. L’ennemi s’était replié vers le pont de l’Union, dont il tenait les deux têtes. Il n’eût

  1. Fils du directeur des recherches de la Sûreté, mort récemment.