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rencontrions Louis-Philippe, au lendemain de la mort de son second frère, plongé dans son chagrin et dans ses souvenirs.

L’expérience du monde est la grande école qu’il recommandait dans sa lettre à M. de Chabot : aucun homme de son âge en a-t-il jamais reçu d’aussi éclatantes leçons ? Est-il en effet un autre exemple d’un homme directement mêlé, en si peu d’années, à tant d’événemens extraordinaires ?

Il a vu Versailles, et ce tableau merveilleux demeure vivant dans son imagination. Il a vu la Cour attendre le Roi dans la Galerie des Glaces, ou descendre derrière lui les degrés qui mènent au tapis vert. Il a entendu les violons de Gluck résonner dans la chapelle royale ; et, dans les forêts, les trompes de M. de Dampierre. Les tapisseries des Gobelins et celles de Beauvais, dans les salons arrangés par Gabriel, ornaient les murs et les meubles : ces fauteuils à pieds droits, ces chaises à lyre, ces bergères ou canapés, impropres au laisser-aller, indifférens au confort et disposés pour la bonne tenue et les élégantes attitudes d’une société pleine de charme et d’esprit.

Un jour, une foule immense a gravi les pentes de Sèvres et s’est déversée dans l’avenue de Paris ; la poussière s’élevait en nuages jusqu’à la cime des arbres. Les grilles du palais ont été enfoncées ; le Roi, la Reine, poursuivis dans leurs appartemens, jetés dans des voitures, traînés à Paris au milieu d’un menaçant cortège. Et le Duc de Chartres, inquiet des fureurs du peuple, suspect à la Cour, entendait dans les mots échangés pendant ces heures d’angoisse, constamment accuser son père de complicité. Fausse accusation ! Son père n’a été pour rien dans les journées d’octobre ! Mais, hélas ! après des mois de tourmens politiques, de popularités exaltées et abattues, de systèmes sociaux acclamés et rejetés, son père, premier prince du sang et se parant du nom d’Égalité, membre de l’implacable Convention, et habitant encore le Palais Royal, son père, malgré les prières de quelques fidèles et les pleurs de Montpensier, presque malgré lui-même, est allé approuver par son vote l’infâme exécution de Louis XVI !

Et ce père, traîné à son tour, si peu de temps après, à l’échafaud, il le croit, il l’a toujours dit être un honnête homme. Il a maudit l’action, le régime effroyable qui la rendait possible, l’engrenage dans lequel un être vaniteux a laissé prendre sa faible et coupable main. Il n’a pas maudit son père. Ne nous