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européens sont quelquefois durs à manier. Respirons un peu. »

Au second acte, le Roi est agenouillé sur une estrade dans la grand’salle du Palais. Sa tête sort d’une pyramide de soie légère et somptueuse. « Monseigneur, lui dit-on, il nous a paru qu’en Europe vous n’aviez pas un sentiment assez haut de votre dignité. Nous n’aimons pas chez les grands cette familiarité paternelle à laquelle vous condescendez. Vous êtes un homme au-dessus des nuages. Ne parlez pas trop ; et que de votre auguste face impassible, la parole tombe comme l’éclair et la foudre… Qu’on introduise Chimène et don Sanche, Rodrigue et don Diègue, et qu’ils s’agenouillent au pied de l’estrade ! Chimène sait ce qu’elle doit dire ; et don Sanche doit réclamer comme elle la tête du meurtrier… Ne récriminez pas, seigneur don Sanche ! Nous vous réservons une minute glorieuse… Pour vous, don Diègue, vous trahirez la vérité par amour de votre fils : vous soutiendrez que c’est vous qui l’avez poussé à la vengeance. Et vous, seigneur Rodrigue, vous démentirez votre honoré père… Tout marche à souhait. Vous devenez de vrais Japonais. Il est temps que le messager annonce le débarquement des Mongols. Le Shogun diffère son jugement jusqu’à ce que l’ennemi soit rejeté à la mer, et, en attendant, il nomme Rodrigue général en chef. Chimène-san, ayez la bonté de vous prosterner, et dites bien haut que vous acceptez cette remise du procès, car tout doit céder à l’obligation de défendre sa patrie. Bien ! Maintenant, rentrez dans votre demeuré. Nous vous y retrouvons le lendemain des funérailles de votre père.

« Ah ! vous êtes contente : vous sentez venir votre grande scène. Mais permettez-nous de vous indiquer les légères modifications que les bienséances nous conseillent d’y apporter. Il convient d’abord de vous mettre dans l’esprit que vous êtes au Japon. Lorsque vous dites à votre suivante que vous voulez perdre Rodrigue et mourir après lui, il est probable qu’en France cela ne signifie point que vous ayez l’idée du suicide. Vous espérez simplement que votre douleur vous mènera au tombeau. Mais ici, nous savons qu’une fois Rodrigue mort, vous vous habilleriez de blanc et qu’à genoux entre deux flambeaux, vous vous couperiez honorablement les entrailles. Et, avant de procéder à cette cérémonie, nous savons aussi que vous seriez allée déposer sur la pierre tombale de votre honoré père la tête sanglante de son honorable meurtrier… Vous faites