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« Les doigts traînés dans l’eau, le visage miré
Dans le miroir dormant de l’anse ;
Derrière un remorqueur soufflant, la nonchalance
D’une péniche en bois ciré.

« C’est tout ce dont ma triste existence claustrale
Dans ton nid d’amoureux manquait :
C’est un clocher des champs, c’est, au détour d’un quai,
La flèche d’une cathédrale.

« C’est un gué transparent ; c’est, d’un saule vers l’eau,
Des branches s’inclinant, rêveuses.
C’est les battoirs scandant la chanson des laveuses ;
Les rames, la chanson du flot.

« C’est d’épier l’aurore approchante qui guette
La mâture que nous gréons.
C’est d’entendre danser, au son d’accordéons,
En côtoyant une guinguette.

« C’est le passeur hélé, quand on croise son bac ;
C’est au Sud une étoile neuve ;
C’est les lilas du soir se posant sur le fleuve,
L’hirondelle, sur le tillac.

« Loin de l’air lourd des chambres closes, mortuaires
A force d’étouffant ennui,
C’est, accouru des bords immenses de la nuit,
Le vent de mer des estuaires ;

Et, portés par le vent, c’est soudain d’autres cieux,
Et c’est la voile qui se creuse,
Et c’est ne vouloir plus être qu’une coureuse
Avec ses cheveux dans les yeux ! »

Paul Rougier.