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celle qui convient à l’épopée ? C’est l’Egypte qu’a vue Saint-Amant. Est-ce qu’on n’est pas frappé du courage d’Élisaph et de Mérary combattant un crocodile ? Vous avez vu, pauvres gens, de ces crocodiles empaillés pendus dans les cabinets des curieux ; vous n’avez pas vu la bête sur ses pattes et la gueule ouverte : vous ne savez pas que c’est un-animal qui croit durant des années, qui atteint jusqu’à vingt-cinq et trente pieds de long, que partant ce n’est pas peu de chose, deux hommes qui en viennent à bout. Et, lorsque le douzième chant du Moïse amène la conclusion de l’œuvre par la description de la nuit d’Orient, vous êtes étonnés t


On découvroit la lune ; et de feux animés
Et les champs et les airs étoient déjà semés.
Ces miracles volans, ces astres de la terre
Qui de leurs rayons d’or font aux ombres la guerre,
Ces trésors où reluit la divine splendeur,
Faisoient déjà briller leurs flammes sans ardeur ;
Et déjà quelques-uns, en guise d’escarboucles
Du beau poil de Marie avoient paré les boucles,
Déjà les rossignols chantoient sur les buissons…


Qu’est-ce là ? « De certains vers luisans qui volent comme les mouches et dont toute l’Italie et tous les autres pays du Levant sont remplis. Il n’y a rien de si agréable au monde que de les voir, car ils jettent de dessous les ailes, à chaque mouvement, deux brandons de feu gros comme le pouce ; et j’en ai vu quelquefois tous les crins de nos chevaux tout couverts, et tous nos propres cheveux mêmes. Ils volent en troupe comme des essaims d’abeilles ; et l’air en est si plein et rendu si éclatant qu’on verroit à se conduire aisément sans autre lumière, n’étoit qu’on est ébloui de leur nombre et de leur agitation… » Quand on a vu de si belles choses, on a de quoi orner ses poèmes. Il arrive aussi que les poèmes soient un peu chargés de leurs ornemens ; et j’avoue que c’est le cas du Moïse, où les ornemens sont délicieux. Du Levant, de tous les pays du monde, Saint-Amant revenait avec de telles provisions ravissantes que ses précédens poèmes ne lui étaient que vieilleries fades : il en composait de nouveaux ; ses poèmes commencés, il les recommençait. Et ainsi du Moïse : « J’ai fait celui qui, après de longs voyages, tels qu’ont été les miens, se retrouvant en sa propre maison champêtre, et venant à revoir son jardin, en change aussitôt la disposition. Il change la figure de son parterre ; tâche à faire venir au milieu quelque fontaine qui l’embellisse ; l’orne de quelques statues ; raccommode les espaliers