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Tous les jeux physiques n’exigent pas la force physique : à l’escrime, à la carabine, il devient un excellent tireur. Enragé de faiblesse, il dépasse les forts. Comme un Diomède, comme un Ajax, il rit en rapportant ses trophées. Une cour de collège ne lui suffit pas : il lui faut les bois de Bellevue, en attendant qu’il ait à lui tout l’espace, tout le ciel. Ainsi l’enfance batailleuse d’un Guynemer rejoint-elle celle d’un Roland, d’un Duguesclin, d’un Bayard : cœurs ardens, énergies indomptables, âmes droites, bientôt formées, dont il faudra seulement régler la fougue.

L’adolescent ne sera pas différent de l’enfant. Élève de mathématiques spéciales, Georges Guynemer ne changera rien à ses habitudes combatives. « À la récréation, il pratiquait surtout le patinage à roulettes. C’était pour lui une source de disputes et de pugilats. Ayant horreur de ceux qui ne jouaient pas, il passait au milieu de leur groupe, les bousculait, les tirait par le bras et les faisait valser comme des girouettes. Il s’enfuyait alors à toute vitesse, poursuivi par ses victimes. Des coups étaient échangés, ce qui ne l’empêchait pas de recommencer quelques secondes après. À la fin d’une récréation, les cheveux en désordre, les vêtemens couverts de poussière, la figure et les mains maculées de boue, Guynemer était épuisé. Le plus robuste de ses camarades ne l’effrayait pas : il s’attaquait à lui de préférence. L’intervention des maîtres était souvent nécessaire pour séparer les combattans. Guynemer se dressait alors comme un coq, les yeux étincelans, sortant de leur orbite et, dans son impuissance, accablait son adversaire de paroles piquantes et parfois même blessantes, d’une voix sèche et railleuse[1]… » La parole, cependant, n’est pas son fait. Sa nervosité lui hache ses phrases. Son accent est frémissant, martelé, tranchant. Il a des affirmations sans réplique. Il a horreur de la discussion : il est déjà tout action.

Cette violence, cette frénésie d’action eût risqué de l’entraîner aux plus déraisonnables, aux plus dangereuses audaces si elle n’eût trouvé son contrepoids dans le sentiment de l’honneur. « Il était de ceux, écrit un de ses camarades, M. Jean Constantin, actuellement lieutenant d’artillerie, pour lesquels l’honneur est une chose sacrée, à laquelle on ne doit faillir sous

  1. Notes inédites de l’abbé Chesnais.