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de lui voir prendre du repos, le laisse à Paris chez sa grand’mère. Il suit des cours de sciences sociales. Il achève une éducation qui fut strictement française, dont aucun jour ne fut livré à un étranger. Puis il voyage avec sa mère et ses sœurs. Il mène la vie agréable d’un jeune homme fortuné qui a bien le temps de penser à l’avenir. Y pense-t-il ? Son père, vaguement inquiet de ce désœuvrement, le fait revenir, l’interroge sur la carrière qui le tente, redoutant une de ces réponses indécises comme en font tant de jeunes gens. Et Georges, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, comme s’il ne saurait être question de rien autre, réplique :

— Aviateur.

Le mot provoque la surprise. D’où peut venir cette détermination que l’on croit soudaine ?

— Ce n’est pas là une carrière, lui fait-on observer. L’aviation n’est encore qu’un sport. Tu courras les airs, comme un automobiliste les grandes routes. Et, après quelques années consacrées à ton plaisir, tu te mettras aux gages d’un constructeur. Non, mille fois non.

Alors il dit à son père ce qu’il n’a jamais dit à personne, ce que son camarade Constantin n’a pu que soupçonner :

— Je n’ai pas d’autre passion. Un matin, de la cour de Stanislas, j’ai vu un avion voler. Je ne sais pas ce qui s’est passé en moi. J’ai ressenti une émotion si profonde, une émotion presque religieuse ! Il faut me croire quand je vous demande de monter en avion.

— Tu ne sais pas ce que c’est. Tu n’as jamais vu d’avion que d’en bas.

— Vous vous trompez : j’y suis monté à Corbeaulieu.

Corbeaulieu était un aérodrome voisin de Compiègne. Et ces paroles s’échangeaient quelques mois à peine avant la guerre.


Bien des années avant que Georges Guynemer fût élève au collège Stanislas, un professeur, promis lui aussi à la gloire, y enseignait la rhétorique. Il s’appelait Frédéric Ozanam. Enfant précoce il avait, prématurément lui aussi, éprouvé sa vocation qui le portait irrésistiblement vers les lettres. À quinze ans, il avait composé en vers latins une épitaphe à la gloire de Gaston de Foix, mort à Ravenne. Cette épitaphe, si l’on change deux mots : Hispanae en hostilis, et le nom de Gaston en celui de