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ces avions qui sont là. Vous êtes ma dernière ressource. Que par vous je fasse enfin quelque chose dans la guerre !

Le capitaine, gravement, réfléchit. Il a deviné la puissance qui habite ce corps si mince. Il ne rebutera pas un tel suppliant :

— Je peux vous prendre comme élève-mécanicien.

— C’est cela, c’est cela : je connais les automobiles. Guynemer exulte : les leçons techniques de Jean Krebs se présentent déjà à sa mémoire et lui faciliteront sa tâche. L’officier lui a donné une lettre pour le bureau de recrutement de Bayonne. Il retourne à Bayonne pour la troisième fois. Cette fois il est inscrit, on le prend, il signe un engagement volontaire. C’est le 21 novembre 1914. Point n’est besoin qu’il raconte son voyage à son retour à la villa Delphine : il est rayonnant.

— Tu vas partir ? lui disent sa mère et ses sœurs.

— Sans doute.

Le lendemain, il débute au camp d’aviation de Pau, comme élève-mécanicien. Il est entré dans l’armée par la porte basse, mais il y est entré. Le futur chevalier de l’air n’est que le dernier des écuyers. « Je ne vous demande pour lui aucune faveur, a écrit son père au capitaine : qu’il soit à même de rendre tous les services qu’il est capable de rendre, voilà ce que je réclame pour lui. » Il faut qu’il soit éprouvé, il faut qu’il mérite, il faut qu’il passe par tous les ordres mineurs avant de revêtir le casque sacré. L’enfant choyé de Compiègne et de la villa Delphine connaît l’apprentissage le plus rude. Il couche sur la planche, il est employé aux plus salissantes besognes, la corvée de quartier, le nettoyage des cylindres, le transport des bidons de pétrole. Dans le milieu où il est, il entend des paroles et des théories qui le font bondir et ne distingue pas encore la distance qui, si souvent, sépare du cœur les théories et les paroles. Le 26 novembre, il écrit à l’abbé Chesnais : « J’ai le plaisir de vous annoncer qu’après deux ajournemens et en vaine tentative d’engagement, j’ai enfin réussi. Patience et longueur de temps… Je vous écris de la chambrée entre deux camarades qui échafaudent des théories sociales. »

Comment supporterait-il cette vie d’ouvrier ? Ses parens n’étaient pas sans inquiétude. Ils hésitaient à quitter Biarritz pour rentrer dans Compiègne et reprendre possession de leur