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France. Ils ne l’ont jamais oublié. La réunion des principautés danubiennes, favorisée par l’empereur des. Français, s’est opérée malgré l’opposition de leurs ennemies naturelles, l’Autriche et la Turquie, intéressées toutes deux à leur séparation, après que la Conférence de Paris ; en 1858, les eut autorisées à n’avoir qu’une commission gonvernementale et une Cour des Comptes communes, chacune des principautés devant garder son hospodar élu. Cette dernière condition fut, on le sait, élégamment éludée par l’élection simultanée à Bucarest et à Jassy d’un même hospodar, le Moldave Couza, lequel, d’ailleurs, se conduisit en despote et dégoûta les Roumains d’avoir pour maître un de leurs concitoyens.

L’influence de la France a persisté sous un prince allemand. Toutefois, de politique qu’elle était auparavant, elle s’est limitée aux idées, à la langue, à la formation intellectuelle, aux habitudes de la vie. La Roumanie a continué d’importer de Paris son luxe et sa littérature, en dépit des préférences germaniques affichées naturellement par la cour et imitées par quelques familles des plus influentes. Bucarest perd peu à peu sa couleur originale, pour s’enfermer dans le cadre ordinaire des grandes villes modernes, percées de boulevards rectilignes et alourdies de constructions monumentales. Mais on y respire toujours plus qu’ailleurs un parfum de civilisation et d’élégance, émané directement de la France.

Le fondateur de la jeune dynastie, un Hohenzollern de la branche méridionale et catholique, a été l’éducateur politique de son peuple et l’a introduit dans la communauté européenne. En même temps, il a cherché, avec la persévérance et la suite dans les desseins qui étaient une particularité de son caractère, à réagir contre l’attrait exercé par la France, à miner son influence et à séparer la Roumanie de ses sœurs latines. C’était en vue de rattacher cette fille incontestable de la Rome ancienne au monde et à la civilisation germaniques, dont son caractère national, ses traditions et ses tendances la tiennent éloignée, plus encore que sa situation géographique. Tentative malheureuse à tous égards, et qui a rencontré en Roumanie une résistance instinctive. Les historiens futurs, observateurs pénétrans de l’âme d’un peuple, feront un juste grief au roi Carol, malgré les grands services qu’il a rendus à sa patrie d’adoption, d’avoir méconnu l’âme roumaine, d’avoir voulu la dénaturer au