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manqué à la fois ; mais alors ce fut un désastre. Les récoltes moyennes entretiennent la vie nationale et l’équilibre du budget. Les belles années versent un flot d’or sur le pays.

Le revers de la médaille est l’état arriéré de la culture, telle que la pratiquent les paysans, dont la manière de vivre est restée aussi misérable, aussi primitive que leur instruction est bornée. On peut se demander si les gouvernemens qui se sont succédé depuis cinquante ans ont assez fait en général pour l’éducation morale du paysan, s’ils n’auraient pas été mieux inspirés en créant plus d’écoles et moins de gymnases et de lycées, qui ont multiplié le nombre des fonctionnaires et augmenté celui des déclassés, s’ils n’auraient pas dû enfin s’efforcer d’arracher les villageois à l’inactivité pernicieuse des longs mois d’hiver. La persistance dans l’emploi des mauvais procédés agricoles se fait sentir dans le médiocre rendement de la terre. Un hectare en Roumanie ne produit en moyenne que 12 quintaux de blé, au lieu qu’il en donne 32 en Danemark et 25 en Belgique. L’exportation a pris un vigoureux essor après la construction d’un réseau de chemins de fer de 3 500 kilomètres qui appartient à l’État. Le railway court, comme l’épine dorsale du pays, de la frontière hongroise à la frontière russe, en suivant la direction des Carpathes. Des embranchemens conduisent de la ligne centrale aux ports du Danube, drainant sur leur chemin la production agricole. Mais ce n’est encore là que le squelette du système complet dont devrait être doté le royaume. Les lignes n’ont qu’une voie et, quand la récolte est abondante, les wagons nécessaires ne circulent pas assez vite, les grains s’entassent aux stations intermédiaires, avant d’être emmagasinés dans les docks de Braïla et de Galatz.

La Roumanie n’en est pas moins, avec la Russie, le Canada, les États-Unis et l’Argentine, un grenier précieux où puisent les pays qui ne produisent pas suffisamment de pain pour se nourrir. Par-là apparaît la haute valeur économique qu’elle a acquise en Europe. Si un facteur aussi indispensable venait à cesser pendant quelques années ses envois périodiques, il en résulterait un renchérissement certain dans les conditions d’existence des nations industrielles, et nous ne pourrions pas envisager sans appréhension, pour les lendemains de la guerre, un arrêt persistant de la production roumaine.