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l’heure en fut venue. Ils n’ont rien fait en 1912 pour pénétrer les projets de conquête, de l’union balkanique, ni rien exigé d’elle en faveur des Koutzo-Valaques, autrement dit des intérêts roumains, sinon quand il était trop tard.

Les motifs qui ont entraîné le roi Carol à lier partie avec l’Autriche et avec l’Allemagne, il faut les chercher dans ses sentimens de race et de famille et dans les conjonctures où s’est trouvé son royaume au lendemain de sa libération définitive. Il était resté Allemand et Hohenzollern au fond du cœur. L’influence germanique ne se trahissait pas dans son langage, toujours très réservé et très prudent au sujet de l’Allemagne, mais dans les créations de son goût personnel. Le touriste qui visitait Sinaï, voyait avec étonnement se dresser dans le décor ensoleillé des Carpathes un « burg » aux pignons élevés, chargé à profusion des ornemens du style de la Renaissance allemande. C’était l’habitation préférée de ce fils de la brumeuse Germanie, qui avait grandi dans le site romantique de Sigmaringen. Il ne paraissait éprouver au demeurant qu’un penchant médiocre pour le souverain de son ancien pays. Autant il vantait l’empereur Frédéric, son ami et son camarade de jeunesse, autant il s’exprimait librement sur les initiatives tapageuses de Guillaume II. Je l’ai même entendu critiquer son intempérance oratoire, qu’il jugeait intempestive dans une bouche impériale.

L’attachement de Carol Ier à sa patrie d’origine avait failli lui coûter la couronne pendant la guerre franco-allemande. En 1871, blessé des manifestations de la population de Bucarest en faveur de la France qui ricochaient contre sa personne de prince allemand, se sentant mal soutenu par ses ministres libéraux et impopulaire auprès de ses sujets, il se disposait à abandonner la partie, lorsqu’un des principaux boïards, Lascar Catargi, vint le trouver et lui conseilla de rester, en faisant l’essai d’un ministère conservateur. C’étaient Jean Bratiano et les libéraux qui avaient offert la couronne princière à Charles de Hohenzollern, et celui-ci jusqu’alors avait gouverné avec eux. Les conservateurs ne lui gardaient pas rancune de l’éloignement où il les avait tenus ; ils appréciaient ses qualités morales. Autant le garder, pensaient-ils, et faire l’économie d’un changement de règne qui ne leur apporterait peut-être rien de bon. Le prince Charles suivit le conseil de Catargi et s’en trouva bien. Six ans plus tard, la guerre de