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voyant à l’erreur fondamentale de la psychologie de Rousseau. Sauf au temps de ses débuts littéraires (dans ses Jeunes gens de Platon) il n’a jamais cru à la bonté naturelle de l’homme, et son Graindorge renferme une page bien frappante de psychologie « impérialiste » véridique ; c’est l’exhortation de l’américain self made man à son jeune parent : « Mon enfant, tu as les joues roses et tu entres dans la vie comme dans une salle à manger pour te mettre à table, etc. » En 1873, il n’ignore pas qu’on l’accuse pourtant de continuer, par son déterminisme théorique, la philosophie du xviiie siècle, et il croit devoir protester contre une telle interprétation de sa pensée vis-à-vis de Guizot, l’un de ses plus anciens protecteurs et son patron désigné pour sa prochaine candidature à l’Académie française. Il va donner la main aux croyans du « péché originel, » en proclamant une fois de plus que la volonté de puissance est fondamentale en tout ce qui vit. « Le xviiie siècle, écrit-il, admet que l’homme en soi, l’homme abstrait, l’homme primitif et naturel est essentiellement bon et surtout raisonnable. En général, cette conclusion passe pour être une conséquence rigoureuse de la philosophie du xviiie siècle. Tout ce que je puis dire, c’est que la raison, même laïque, ne l’accepte pas. Du moins la science, dès qu’elle est précise et solide, cesse d’être révolutionnaire et même devient anti-révolutionnaire. La zoologie nous montre que l’homme a des canines : prenons garde d’éveiller en lui l’instinct carnassier et féroce. La psychologie nous montre que la raison dans l’homme a pour supports les mots et les images : prenons garde de provoquer en lui l’halluciné et le fou… L’histoire montre que les États, les gouvernemens, les religions, les églises, toutes les grandes institutions sont les seuls moyens par lesquels l’homme, animal et sauvage, acquiert sa petite part de raison et de justice. Bref, il me semble que la science laïque conduit à l’esprit de prudence et de conservation. »

Mais un an se passe, et le voilà de nouveau tourné vers l’esprit classique pour en faire le bouc émissaire des péchés jacobins, car le 31 juillet 1874, il expose à Boutmyson intention de revenir à la thèse jadis posée par lui dans sa Littérature anglaise : il montrera, dit-il, dans Boileau, Descartes, Sacy, Corneille, Racine ou Fléchier les ancêtres directs de Saint-Just et de Robespierre. Et Descartes seul, pour avoir concouru à l’idée de