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encore saturée de phantasmes mystiques, des revendications rousseauistes de 1789 et de leurs premières traductions par la Loi : rationalisation accomplie tant bien que mal par des esprits déjà quelque peu façonnés à l’école des faits après dix ans de convulsions sociales, et sous l’impulsion de Bonaparte, le plus complètement soustrait à l’influence de Rousseau parmi ces gouvernans de fortune. — Malheureusement, l’esprit jacobin, qui demeura si vivant parmi nous, s’est consacré depuis un siècle à rousseauiser de nouveau le Code civil, surtout en sapant la famille juridique, cette solide institution classique, ce legs de l’antiquité latine à la civilisation chrétienne. C’est ce que constatent, proclament et déplorent vainement tous nos juristes de sang-froid.


VII

Est-ce à dire que le puissant esprit de Taine n’ait pas entrevu parfois le véritable ressort du grand mouvement des esprits sur lequel il concentra, vingt années durant, sa méditation théorique ? Cela serait impossible à concevoir et cela n’a pas été. À plus d’une reprise, il a pressenti, suggéré ou même esquissé de son côté la solution du problème par le mysticisme conquérant : c’est ce qu’il nous reste à mettre en évidence pour achever la tâche que nous nous sommes prescrite.

Dès sa jeunesse, étudiant à propos d’un livre de Guizot les acteurs de la Révolution d’Angleterre, il avait souligné leur mysticisme ou même leur messianisme foncier : par exemple, dans ce James Nayler qui fut mis en jugement par le Parlement de Cromwell à titre d’« extrémiste » ou de « maximaliste » et que ses dévots adoraient comme un nouveau Christ. Il retrouva des figures analogues dans l’entourage de Robespierre : celle de Catherine Théot par exemple, ou encore de cette Suzette Labrousse, dont il parlera dans sa correspondance ; et, dès 1856, il les avait appréciées en ces termes : « De tels accès sont les symptômes de la grave maladie mentale qui fit et perdit la Révolution d’Angleterre. » Comment n’en vînt-il pas plus tard à discerner mieux la nature de l’épidémie jacobine ? Il se contentera de comparer souvent aux Puritains de Londres les Jacobins de Paris, mais sans chercher dans une commune inspiration mystique la raison profonde de leurs ressemblances.