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dire en 1899 à l’Ecole de guerre dont il était directeur : « Avec notre 75 et notre belle infanterie, nous vaincrons les Allemands quand nous voudrons. » Il ne demandait qu’une chose : « Donnez-nous des obus tant qu’il en faudra ! des munitions, encore des munitions et toujours des munitions. »

Donc, en 1898, la France était prête ! J’en appelle au témoignage de mes camarades qui survivent. Ne sentions-nous pas alors le frémissement sacré, avant-coureur des exaltations suprêmes, chaque fois que nous entraînions nos soldats sur les terrains de manœuvre, quand nos drapeaux flottaient dans les défilés populaires ou se déployaient pour les répétitions des assauts triomphons ? Il nous semblait nous rapprocher de plus en plus de la Terre Promise, et tous les regards des garnisons les plus éloignées se tournaient volontairement vers l’Est ! L’alliance russe nous affermissait dans la conviction de notre supériorité.

L’état-major allemand se rendit bien compte des progrès de notre instruction et de notre esprit d’offensive ; il ne méconnaissait pas la valeur de notre canon de 75. Il commença alors par prendre de sérieuses précautions en Alsace-Lorraine. Tout en augmentant ses garnisons et se tenant toujours prêt à garder l’initiative de l’attaque que lui donnait, que lui imposait même sa situation militaire, il organisait défensivement la zone de concentration et créait à son tour des régions fortifiées, en reliant Thionville au camp retranché de Metz, en Lorraine, et Molsheim à Strasbourg, en Alsace. De nouveaux et puissans forts étaient construits autour de Metz, tout contre la frontière, et il préparait de longue main cette organisation dissimulée du terrain, entre Metz et Strasbourg, à laquelle nous nous sommes heurtés en août 1914.

Mais surtout il ne perdait pas de vue ni l’évolution de notre politique intérieure et de nos lois militaires, ni le démantèlement progressif de notre frontière du Nord. Il ne pouvait pas d’ailleurs ne pas être frappé de la contradiction singulière qui se produisait dès 1900, et qui allait s’aggraver, entre cet esprit d’offensive, entre la doctrine de la bataille de manœuvre, de plus en plus affirmée dans nos règlemens et dans notre enseignement militaire, et l’affaiblissement de la valeur combative de l’armée par l’intrusion déplorable de la politique dans ses rangs et par la loi réduisant le service actif à deux ans.