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l’entrevue avec l’Ange est d’une extrême beauté et mérite d’être citée tout au long :


C’était au septième jour, un samedi, et Prométhée se promenait rêveur dans le jardin de sa maison, et son regard paisible cherchait à percer les brouillards, tandis que sous ses pas bruissaient les feuilles sèches.

Et déjà dépouillée par un long automne, la splendeur du jardin s’était appauvrie, et quelques feuilles d’or pendaient encore aux arbres et aux buissons, et quelques fleurs d’un rouge foncé émergeaient encore de la mer des brumes, mais un silence riche et lourd de pressentimens pesait sur le tout ; et ce silence était sanctifié par le trille léger d’un merle qui sautillait dans le bosquet désert, rêvant aux plaisirs et aux bonheurs de l’été disparu ; et toute vie semblait éteinte alentour, et nul mouvement n’en rompait la torpeur, sauf un unique rayon de soleil qui se jouait sur l’herbe verte, tournoyait et courait comme un enfant mutin, disparaissait, revenait, se glissait sous la barrière, se balançait sur une feuille, puis se fixait sur le sol.

Et tandis qu’il se promenait en paix, et que son visage calme et beau semblait refléter la sérénité de son cœur, et que son regard pensif suivait le rayon de soleil, et que ses pensées s’égaraient au loin, l’Ange de Dieu s’approcha soudain de Prométhée et lui dit d’un ton sévère ces graves paroles :

« Prométhée, audacieux étranger du Pays des Hommes, depuis longtemps je t’observe, et certes, j’ai remarqué la vigueur de ton esprit et ta singulière richesse intérieure ! Cependant tu seras rejeté, au jour de la gloire, à cause de ton Ame qui ne connaît ni Dieu ni loi, car rien n’est sacré à son orgueil, ni dans le ciel, ni sur la terre.

« C’est pourquoi, écoute mon conseil et sépare-toi d’elle. Et je te donnerai en échange une Conscience qui t’enseignera les mots en « isme » et en « tion, » et qui te guidera sur des voies sûres et droites. »

Et Prométhée répondit et dit d’un cœur résolu :

« Maître suprême, qui distribues la gloire et la honte au peuple des hommes, selon tes décrets arbitraires, en vérité, je te rends grâces ! Car bienveillant est le sens de ton discours, et je vois l’intention amicale qui se cache sous tes paroles !

« Toutefois, qui suis-je pour juger mon Ame ? Car voici, elle est ma souveraine et ma déesse dans la joie et dans la peine, et tout ce que je suis, je le tiens d’elle. C’est pourquoi je veux partager ma gloire avec elle ; et s’il le faut, je me passerai de gloire plutôt. »

Et à ces paroles, le visage de l’Ange s’assombrit, et il ouvrit la