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céleste convoqué par l’architecte de l’Univers afin de choisir le plan qu’il adoptera pour sa création.

Si variés qu’en soient les thèmes imagés, si précis le détail descriptif, il reste que l’intention trop didactique de ces poèmes, le procédé allégorique trop uniforme nuisent à l’impression poétique. « Vos figures, disait Gottfried Keller à Spitteler, sont de pures marionnettes, des poupées de Nuremberg. » Et Spitteler, peu après, se rendait compte de ce que son effort pour créer des mythes avait de factice et, somme toute, de malheureux. Il avait cru écrire « des poèmes qui ont la vie pour sujet ; » il avait tenté de procéder par mythes platoniciens, d’une vérité assez générale et d’une beauté plastique assez grande pour toucher d’émotion tout lecteur un peu méditatif, pour stimuler en lui la sensibilité, l’imagination, le rêve, et la réflexion même. Mais il avait beau s’autoriser de l’exemple des Anciens qui écrivaient tout naturellement en vers une Théogonie ou un poème De la Nature, il lui restait à apprendre que la vie terrestre, telle qu’elle nous est faite, dégage à elle seule plus d’émotion et de poésie que n’en peuvent exprimer les plus sublimes allégories. Il lui restait, comme le lui écrivait C. F. Meyer, à suivre le conseil de Merck à Goethe : « Ne pas vouloir concrétiser la poésie, mais poétiser la réalité. » Les Extramundana, quelques années plus tard, semblaient à Spitteler « le modèle de ce qu’on ne doit pas écrire. » Il leur doit d’avoir connu « la nécessité de nourrir son talent de réalité et de vie, d’attacher à ses semelles un peu plus de limon terrestre » et de soumettre son talent « extramondial » à une « cure de suralimentation réaliste » qui lui a profité par la suite[1].


Les six années qui suivent les Extramundana, « dernier effort d’un oiseau blessé pour se maintenir en plein vol, » sont des années de travail obscur et de désespoir : le Johannes, six fois repris, est six fois abandonné ; drames, nouvelles, épopées, ouvrages de science et d’esthétique s’amoncellent en vain dans les cartons d’où ils ne sortiront pas ; rien n’aboutit, rien ne perce ; un peu de journalisme ajoute au budget familial (car

  1. Voir ces diverses citations dans Faesi, p. 50-51, et Meissner, p. 45.