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D’ailleurs, à la suite précisément de ces faits, la censure anglaise qui est intelligente et libérale, et la nôtre, qui l’est devenue beaucoup depuis qu’elle est morte, — en quoi elle diffère précisément de la jument de Roland, — ont laissé publier déjà de nombreuses photographies et descriptions authentiques de ces engins. J’aurai soin, pour ma part, de ne pas m’écarter de ce qui i été ainsi déjà connu, et de m’interdire tout renseignement technique qui ne doit pas être divulgué. Aussi bien les détails n’importent-ils guère ici, et ce que je veux montrer par quelques vues générales, c’est comment la force impérieuse des choses a amené la naissance de ces machines et comment la physionomie des batailles s’en trouve modifiée.


Lorsque, il y a un peu plus d’un an, les premiers tanks firent leur apparition sur le front anglais de la Somme, l’imagination des chroniqueurs de guerre multipliée par celle du public et déchaînée par le secret qui alors s’imposait, en fit d’abord des machines fabuleuses. Un vrai prurit de réminiscences mythologiques et apocalyptiques fut provoqué dans certains encriers ; et l’on réveilla pour les apparenter au nouvel engin le cheval de Troie, la Tarasque, le diplodocus, tous les monstres de l’Apocalypse et des Mille et une nuits. J’ai sous les yeux quelques-unes de ces descriptions faites alors dans la pénombre amplificatrice du mystère ; malgré leur lyrisme et les horribles détails dont elles sont émaillées, elles feraient bien rire mes lecteurs si on les remettait sous leurs yeux, aujourd’hui qu’ils ont pu voir dans la cour des Invalides, le monstre en chair et os… si j’ose dire, servant de pacifique, réceptacle aux souscriptions du dernier emprunt.

La vérité, c’est que les tanks n’avaient guère de commun avec les fabuleux ancêtres qu’on évoquait à leur sujet : ce sont simplement des automobiles blindés et armés munis d’un mode de propulsion spécial.


De tout temps, dans l’histoire, on a employé dans les guerres des véhicules plus ou moins armés et protégés. Les divers chars de guerre et surtout les chars à faux des anciens peuples de l’Orient sont bien connus. L’emploi des éléphans de guerre dans l’antiquité procédait d’un besoin analogue. L’éléphant jouait le rôle à la fois d’un véhicule armé (à cause des guerriers qu’il portait et de l’effet d’écrasement et d’enfoncement qu’il produisait lui-même) et d’un véhicule blindé (à cause de sa peau épaisse et presque invulnérable aux lances et aux