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Clément Marot et Colette sa femme faisaient là-bas le plus gentil, le plus mélodieux ménage, que venait troubler, un moment, une aventure à demi plaisante et mélancolique à demi. Les circonstances amenaient entre les deux époux une scène de reniement obligatoire et réciproque, analogue, en petit et dans l’ordre conjugal, à la rencontre, maternelle et filiale, de Fidès et de Jean, au quatrième acte du Prophète. C’est en petit également, et, bien entendu, sans l’ombre de réminiscence, d’imitation, encore moins de parodie, que M. Messager avait traité cette réduction, transposée, d’un grand sujet. Mais il y avait mis infiniment de goût, de mesure et de grâce, avec une sensibilité furtive et discrète, qui ne laissait pas d’attendrir. Il en avait soigné jusqu’aux détails, aux alentours, donnant une saveur d’archaïsme à deux chansons de Marot, (sur des vers du poète), et surtout, à certain chœur de femmes à la fontaine, un charme de langueur et de rêverie nonchalante, que le Bizet de Carmen et du chœur des Cigarières n’aurait pas désavoué. Ainsi, même au cadre d’un aimable tableau de genre, ni le pittoresque ne manquait, ni la poésie.

Il n’est pas jusqu’à la poésie de Musset, dont la musique de M. Messager n’ait, un jour, approché. Dans Fortunio, la musique est, beaucoup plus que les paroles, d’après l’auteur du Chandelier ou selon lui. Elle exprime en notes fines et légères, souvent spirituelles, quelquefois profondes, le caractère de Jacqueline et celui de Fortunio : de celle-là, tantôt la coquetterie perverse, tantôt les grâces amoureuses, savoureuses, et le sensuel abandon ; de celui-ci, la juvénile, inquiète et frémissante ardeur. Nous l’avons dit naguère, et nous ne saurions nous en dédire, deux actes de Fortunio, sur quatre, les deux premiers, ne sont pas loin de faire la moitié d’un petit chef-d’œuvre. La fameuse chanson n’est pas fort inégale à celle, que nulle autre n’égalera tout à fait, d’Offenbach. Pleines de malice, les dernières pages nous donnent comme une paraphrase, mais brève, pimpante, ironique à souhait, de la réplique : « Chantez donc, monsieur Clavaroche !  » par où finit la comédie littéraire. Et le mérite n’est pas mince, pour la comédie musicale, de compter maint passage où Musset, le plus musicien de nos grands poètes, se serait reconnu et qu’il eût aimé.

Un de nos poètes encore, un moderne, avait pu trouver çà et là dans une précédente partition de M. Messager, non seulement une image sonore et fidèle de visions qui lui sont chères, mais quelques traits, ou quelques échos de ses pensées et de son âme