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administratif qu’il trouve à recommander : il ne faisait, d’ailleurs, que répéter en termes plus clairs et plus énergiques le vœu formulé, dès le mois de mai 1915, dans une requête adressée au chancelier par de puissantes corporations, ligues d’agriculteurs, d’industriels, de bourgeois des classes moyennes, y compris même une union de paysans qui est baptisée du nom d’association chrétienne, toute la fleur de la population de l’Empire. Elles réclamaient à l’unisson la soumission de la Belgique à la législation impériale, c’est-à-dire sa réduction en pays tributaire, en colonie européenne.

Et la Serbie ? Inutile de discourir sur son sort. Le silence du cabinet de Vienne nous en dit assez. Il ne lui permettait aucun espoir de survie.

Mais les petites nations demeurées neutres et préservées de toute démonstration militaire, au prix des sacrifices les plus cruels, — tel le torpillage de leurs navires, — ou de complaisances sans limites aux exigences de Berlin, quel rôle une Allemagne victorieuse leur aurait-elle destiné ? Nous la voyons d’ici, tenant d’une main la lourde épée ensanglantée, qu’elle se plait à brandir comme un épouvantail, leur montrant de l’autre le Zollverein, porte d’entrée de l’Empire, ou quelque autre porte plus dissimulée, mais s’ouvrant sur la même prison. Les petites voisines de l’Allemagne, tête basse, auraient été contraintes d’obéir, en laissant au seuil de l’enfer germanique toute espérance, toute possibilité de continuer leur libre existence nationale. Ainsi se serait vérifiée la prédiction, faite dans un moment d’expansion et de belle humeur, par le secrétaire d’État impérial à l’ambassadeur de France, quelques mois avant la guerre : « Les petits Etats, disait avec sérénité M. de Jagow, sont condamnés à disparaître ou a graviter dans l’orbite des grandes Puissances. » Telle est la perspective, grosse de menaces pour les faibles, qu’étalait à son auditeur indigné la franchise du ministre prussien, après un diner qui avait aidé probablement à lui délier la langue.

Les États neutres aperçoivent-ils enfin l’abime, où se serait perdue plus tard leur indépendance, sans la résistance invincible de la France et le sacrifice héroïque de la Belgique, sans l’assistance des autres Alliés accourus à la défense de la civilisation et du droit ? Certains de leurs citoyens ferment les yeux pour ne pas voir la vérité aveuglante ; ils préfèrent prêter