Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/475

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maréchal-prince Léopold de Bavière, à la table de qui se sont faites les présentations. Lénine, que sa grandeur attache à Pétrograd, et Trotsky, retenu sans doute par les besoins de la politique intérieure, ayant déclaré ne pouvoir se rendre à Brest-Litovsk, le premier plénipotentiaire des bolcheviks doit être « le camarade » Joffe, si ce n’est M. Kameneff (traduisons, d’après la Morning Post, Rosenfeld), à moins que ce ne soit un M. Pokrovsky, que les journaux ne désignent que par sa qualité de « professeur à l’Université de Moscou. » Or, il y avait, à l’Université de Moscou, avant la révolution, trois Pokrovsky, également fondés à revendiquer cette qualité. L’un d’eux enseignait « l’histoire de l’Église ; » un autre, la « philologie classique ; » le troisième, « la géographie physique et la météorologie. » Que ce soit l’un ou l’autre ou le troisième, encore qu’il n’ait pas, dans la circonstance, beaucoup à travailler de son métier, il jouit d’une supériorité de culture incontestable sur le matelot, le soldat, la vieille femme et le vieil homme illuminé, pourvu que ce ne soit pas lui-même, d’aventuré, le doux monomane du partage des terres! Ce serait toutefois pousser le tableau à la caricature que de ne pas le reconnaître : la délégation russe s’est adjoint, elle aussi, à titre de conseillers techniques, quelques personnages qu’il faut croire sérieux, le commissaire de la Banque d’État pour le ministère des Finances, un chef de section au ministère des Affaires étrangères, un capitaine de frégate gérant du ministère de la Marine. Telle quelle, M. de Kühlmann et le comte Czernin l’ont trouvée parfaite. Ils ne lui ont pas demandé plus qu’ils ne demandaient à Lénine et à Trotsky, et, dès le déjeuner d’inauguration offert à la Conférence par le ministre impérial et royal austro-hongrois des Affaires étrangères, se sont nouées d’aristocrates à anarchistes, « les plus cordiales relations. »

Au demeurant, la besogne importe plus que l’ouvrier. Sinon pour la juger, — elle n’est point terminée, et l’heure n’en est pas venue, — au moins pour la suivre, nous nous attacherons aux textes. Du flot des informations confuses et contradictoires, nous extrairons trois documens certains: 1° le programme de la paix russe ; 2° la réponse des puissances centrales; 3° la réplique des maximalistes. Et nous n’insisterons pas plus qu’il ne convient, parce que les faits changeans ont vite fait de renverser les positions et d’infirmer les commentaires. En guise de préface, M. de Kühlmann, qui, malgré sa jeunesse relative, a présidé, comme représentant du « Suprême Seigneur de la Guerre, » la séance d’ouverture, a commencé par dire, dans ce langage empreint d’une si déplaisante hypocrisie : « Nos négociations seront pleines de