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suspension des négociations de dix jours, ... afin que les peuples dont les gouvernemens ne se sont pas encore joints aux négociations commencées ici, en vue d’une paix générale, aient la possibilité de connaître les principes, maintenant exposés, d’une telle paix.»

A coup sûr, il y aurait plus d’une observation à faire, et il nous en vient, en copiant, quelques-unes au bout des doigts. Quand ils ont relu, après leurs délégués, on dirait que Lénine et Trotsky ont moins mal lu. Dans tous les cas, c’est leur affaire. La nôtre est de ne pas nous laisser entraîner où nous ne voulons pas, où nous ne devons pas les suivre. Voici justement qu’à la veille de l’expiration du délai de dix jours, il nous arrive de Suède un singulier message. C’est, par-dessus la tête des gouvernemens, l’appel aux peuples dont on nous menaçait. Et justement voici que Trotsky exprime avec force le désir que les négociations soient transférées de Brest-Litovsk à Stockholm, et que le Chancelier allemand accorde des passeports aux socialistes minoritaires, à Haase et ses compagnons, dont il s’institue le défenseur ; que « le prolétariat français élève la voix et réclame de son gouvernement la participation aux négociations de paix. » Mais voici justement que cinq de nos socialistes, devançant cette exhortation, viennent de faire une démarche analogue auprès de M. Clemenceau, qui leur a de nouveau opposé un refus tout sec. Ils interpelleront, et nous savons de reste, quoique ce ne soient pas des saints, qu’ils ne se sont jamais tus. Cette fois pourtant, ils auront tort devant bon nombre de leurs amis eux-mêmes. Tout ce qui, chez nous, a non pas même un sens vif et aigu de l’État, mais le plus obscur instinct des nécessités nationales, s’indigne à la pensée de séparer, sous les yeux et sous le feu d’e l’ennemi, le peuple du gouvernement, ou, sans aller si loin, de vouloir, au nom orgueilleusement usurpé de l’un, se substituer à l’autre. S’il y a quelque chose à dire pour la France, c’est au gouvernement de le, dire; et si le gouvernement ne dit rien, personne en France n’a rien à dire.

Qu’est-ce qui se joue à Pétrograd et à Berlin? La comédie va-t-elle subitement tourner au drame, ou le bout de drame qu’on nous laisse entrevoir n’est-il lui-même qu’un supplément de comédie? Il faudrait que les « commissaires du peuple » fussent cent fois plus aveugles encore qu’ils ne le sont, et plus illettrés que ne le sont leur soldat et leur matelot, pour ne pas s’être aperçus que, partout où l’Allemagne recueille un profit, sa réponse est formelle, serrée, catégorique, mais quelle est élastique, équivoque, évasive partout où elle aurait à consentir le moindre sacrifice. Évacuer les régions occupées, ne pas