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nous viennent des indications qui concordent avec les impressions de Kameneff, et qui se condensent en une figure expressive : dans l’empressement des ministres allemands et austro-hongrois à courir à Brest-Litovsk, sur l’invitation d’un Lénine et d’un Trotsky, dans cette espèce d’étourdissement qui leur fait tout oublier, ou tout confondre, on sent « des vertiges d’estomac. » Mais nous, persuadons-nous que nous nous battons désormais, non pour du terrain, mais pour du temps, ou du moins bien plus pour du temps que pour du terrain. Le temps est notre dernier et notre plus puissant allié. Car, en admettant que la Quadruplice gagne quelque chose du côté de la Russie, elle ne peut pas gagner, du côté d’une masse amorphe, inorganique, désorganisée encore par l’anarchie, paralysée par l’acéphalie, anémiée par trois ans de guerre, et d’ailleurs brisée en morceaux, autant que nous tirerons des forces toutes fraîches de la plus riche, de la plus industrielle, de la plus libre, de la plus jeune, de la plus entreprenante, de la plus énergique, de la plus ingénieuse et de la plus audacieuse des nations. C’est pourquoi nous pouvons en toute confiance prendre pour ce qu’il est, pour un mot d’ordre, le mot du général Pétain : « Si le plus pressé réclame la paix, le plus persévérant en fixe les conditions. » Nous ne sommes pas les plus pressés: il nous est moins malaisé, et il nous sera moins pénible qu’à l’ennemi, d’être les plus persévérans.

Ce sentiment commun aux peuples et aux gouvernemens de l’Entente a mis jusque dans l’ordinaire banalité des télégrammes et des discours de Nouvel An une note réconfortante. Aucune dissonance entre les paroles de M. Poincaré ou de M. Clemenceau, et celles du roi d’Angleterre ou de M. Lloyd George, du roi d’Italie ou de M. Orlando, de M. Wilson on du colonel House. Plus fortement et plus abondamment que nul autre, le Premier ministre britannique, dans les explications qu’il a cru devoir porter au Congrès des Trade-Unions, a rappelé tout ce qui nous lie et ce qui seul nous déliera. Mais comme il a bien fait de le répéter aussi fortement! Ce ne serait pas assez de garder inébranlable la fermeté intérieure : il est bon que de temps en temps sonne au dehors un accent qui sonne. Si l’on veut obtenir les restitutions, les réparations et les garanties nécessaires, il ne faut pas, en se condamnant par avance à une diplomatie de vaincus, fermer les voies à la justice. Nous ne demandons rien qu’il ne soit de notre droit de demander, mais nous n’abandonnerons rien qu’il soit de notre devoir de reprendre. M. Lloyd George n’écarte pas par une raillerie, la société des nations; mais, tant que cette société,