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Nouvron-Vingré, couvre Soissons, dont les faubourgs mêmes sont menacés, doit se rabattre sur la rive gauche de l’Aisne où l’ennemi a conquis en janvier (1915) la tête de pont de Condé, Vailly, Chavonne, et franchit à nouveau le fleuve à Soupir qui nous appartient. Laon, la Fère, Coucy-le-Château, Chauny, Noyon, Ham, Péronne vont être le but de ses reconnaissances. La guerre prend un caractère plus poignant, plus direct pour le soldat qui a son foyer immédiatement derrière lui. La rupture du front sur le secteur qui lui est confié découvrirait les siens. Il est en sentinelle devant eux. La patrie n’est plus seulement alors le sol historique de la collectivité française, la terre sacrée dont toutes les parcelles sont solidaires ; elle est encore le coin chéri de l’enfance, l’asile des parens, et, pour ce collégien d’hier, le théâtre des vacances et des belles promenades. Ne vient-il pas de quitter la maison paternelle ? Mal accoutumé à cette séparation, voici qu’il lui rend visite par le chemin des airs, le seul dont il dispose à son gré. Il n’utilise pas le voisinage de Compiègne pour venir tirer la sonnette, car il est soldat et respecte les consignes ; mais, au retour de ses randonnées, il n’hésite pas à faire un crochet pour passer au-dessus de chez lui, et là-haut, dans le ciel, il se livre à toutes sortes de cabrioles et d’acrobaties pour attirer l’attention et prolonger l’entrevue. Quel amoureux fut plus ingénieux et plus fou dans ses rendez-vous ? À tout moment, dans sa correspondance, il rappelle ses passages. « Vous avez dû voir ma tête, car je ne quittais pas la maison des yeux… » Ou bien, après un renversement qui a précipité en bas, comme du lest, toutes les frayeurs : « Je suis désolé que mon virage de l’autre jour ait causé des émotions à maman, mais c’était pour voir la maison sans avoir besoin de me pencher à la portière, ce qui est désagréable à cause du vent… » Ou bien encore il jette un papier qu’on ramasse dans le parc du comte Foy : « Tout va bien. » Il croit rassurer ses parens sur son sort, et vous devinez leur état quand ils aperçoivent, juste au-dessus d’eux, un avion qui danse et à la jumelle le tout petit point noir d’une tête qui se penche. Mon Dieu ! qu’il a donc une singulière façon de les rassurer !

Cependant, à Vauciennes, le nouveau venu est essayé. Au débarqué, on l’avait trouvé bien chétif, bien malingre, un peu réservé et distant, trop bien mis, l’air d’une « demoiselle. » Il