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commandement, lire notre succès inscrit aux signaux optiques. Et c’était, chaque fois, comme l’étoile en marche qui venait se fixer pour les nouveaux bergers, gardiens de nos chers troupeaux humains, — non sur l’étable où naissait un Dieu, — mais sur les ruines où naissait la victoire.

Le capitaine Colcomb appellera plus tard Guynemer « la figure militaire la plus sublime qu’il m’ait été permis de voir, l’une des âmes les plus généreuses et les plus fines que j’aie pu rencontrer. » Guynemer ne se contente pas du sang-froid, de l’immobilité systématique, du calme. Il s’amuse à compter les trous de ses ailes, et les montre à l’observateur. Il est furieux quand les éclatemens se produisent hors de sa vue, car il n’en veut rien perdre. Il semble jongler avec la mitraille. Et, après avoir atterri, il bondit sur son chef d’escadrille, le capitaine Brocard, le prend par le bras, n’a de cesse qu’il ne l’ait quasi traîné de force jusqu’à son appareil, quasi contraint à mettre ses doigts dans les blessures, et il exulte, il trépigne de joie. Le capitaine, aujourd’hui commandant Brocard, dès lors sûr de lui, le notera en ces termes : « Très jeune : son extraordinaire confiance en soi et ses qualités naturelles en feront très vite un excellent pilote… » Ah ! sa curiosité est satisfaite. Mais qui prend-il à témoin de ses risques et de sa chance ? Sa mère et ses sœurs, les cœurs les plus chargés d’inquiétude à son endroit, et dont il a emporté le bonheur et la paix dans les airs. Il ne songe pas un instant au tourment qu’il leur inflige et qu’elles ont toujours su lui cacher. L’idée ne lui en vient même pas. Puisqu’on l’aime, on l’aime tel qu’il est, on l’aime tout brut. Il est trop jeune pour dissimuler, trop jeune pour épargner. Il ignore le mensonge et la pitié. Il ne croit même pas qu’on puisse souffrir d’angoisse pour un fils ou un frère, quand ce fils et ce frère est au comble de la joie, en plein dans sa vocation. Il est ingénument cruel.

Les rondes, les reconnaissances ne le retiendront pas longtemps. Il flaire déjà d’autres aventures. Il a senti l’odeur du fauve et fait pourvoir son appareil d’un support de mitrailleuse. Cet appareil-là, il est vrai, finira dans un fossé : un fuselage vermoulu et que les obus avaient fort maltraité ne l’autorisait guère à durer davantage. Et voilà l’unique bois cassé par Guynemer à ses débuts. Mais le suivant sera pareillement armé. Déjà l’on voit poindre chez le pilote ce goût de la chasse