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ciel, à plus de neuf mille pieds du sol, où les deux ennemis sont isolés dans un duel à mort, à peine vus de la terre, seuls dans l’espace vide, où chaque seconde, chaque balle perdue peut entraîner la défaite, — et quelle défaite ! la chute en fou dans l’abîme, — où l’on se bat parfois de si près, en passes brèves et fugitives, qu’on se voit comme en champ clos, et que les appareils en arrivent à s’effleurer, à se heurter, tels des boucliers, et qu’il en tombe des morceaux comme des plumes d’oiseaux de proie s’assaillant bec à bec, ces combats qui exigent à la fois la manœuvre des commandes et celle de la mitrailleuse et qui font de la vitesse une arme, comment n’auraient-ils pas le pouvoir de métamorphoser ces jeunes gens, ces enfans en demi-dieux ? Hercule, Achille, Roland, le Cid, où trouver ailleurs que dans la mythologie ou l’épopée des comparaisons pour le farouche, pour le furieux Guynemer ?

Le jour même de sa majorité, le 24 décembre (1915), plus tôt que son aïeul de l’Empire, il reçoit la croix de la Légion d’honneur avec cette palme : « Pilote de grande valeur, modèle de dévouement et de courage. A rempli depuis six mois deux missions spéciales exigeant le plus bel esprit de sacrifice, et livré treize combats aériens, dont deux se sont terminés par l’incendie et la chute des avions ennemis. » La citation est déjà en retard. Elle est rédigée sur le rapport du 8 décembre. Il convient d’ajouter aux deux victoires mentionnées celle du 5 et celle du 14 décembre. Décoré pour ses vingt et un ans, l’engagé mécanicien de Pau a marché d’un train d’enfer. Le ruban rouge, le ruban jaune et la croix de guerre rouge et verte aux quatre palmes, cela vous met joliment en valeur une vareuse noire. Georges Guynemer ne méprisera jamais ces hochets. Il ne dissimulera nullement le plaisir qu’ils lui procurent. Il sait jusqu’où il faut monter pour les cueillir. Et il en veut d’autres sans cesse, non par vanité, mais pour ce qu’ils signifient.

Le 3 et le 5 février (1916), nouveaux combats, toujours dans la région de Roye et de Chaulnes. Le 3 février, dans la même ronde, il a trois rencontres en quarante minutes : « Attaqué à 11 h 10 un L. V. G. qui riposte à la mitrailleuse. Tiré 47 coups à 100 mètres : l’avion ennemi pique très fort dans ses lignes en fumant. Perdu de vue à 500 mètres du sol. A 11 à 40, attaqué un L. V. G. (avec Parabellum), à 20 mètres derrière ;