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leur avait fait que du bien, ils s’interposèrent à leur tour. Des secours du dehors arrivèrent. Emile Ollivier fut sauvé. Son défenseur était le brave jardinier qu’il avait fait un jour le plus heureux des hommes. Mais cet épisode n’était que la dernière halte avant le grand conflit. Quatre jours après, les journées de juin commençaient à Marseille.

Le 22, dès le matin, des barricades s’élevaient, le peuple était en armes ; un capitaine de la garde nationale était tué, un général blessé. Emile Ollivier fit encore une tentative de conciliation en envoyant son secrétaire et ami, Masnou, parlementer avec les insurgés. Celui-ci n’obtint aucune concession et fut gardé dans la forteresse improvisée en qualité d’otage. L’effort de l’insurrection ne faisait que croître. Il allait, si on le laissait se développer, devenir formidable, et la garde nationale, seule sauvegarde de la cité, offrait peu de garanties. Emile Ollivier résolut de ne plus perdre de temps en pourparlers inutiles. Il passait en revue le peu de troupes dont il disposait et envoyait partout des ordres énergiques lorsqu’il apprit que le général Changarnier était arrivé dans le port avec des bataillons d’Afrique. Le faire venir aussitôt, organiser le débarquement des soldats, les lancer contre les barricades encore peu nombreuses, les enlever, délivrer Masnou, mettre les mutins en déroute, Emile Ollivier s’avançant lui-même en tête de la première colonne, ce fut l’affaire de quelques heures. En une journée l’insurrection était maîtrisée à Marseille presque sans effusion de sang.

La victoire, si rapide et si complète, avait été facilitée par la sagesse des ateliers nationaux. Admirablement organisés, n’ayant souffert ni du chômage, ni des inégalités, les ouvriers, confians dans la justice du préfet, avaient continué à travailler, au lieu de s’engager dans l’émeute comme ils avaient fait à Paris. Les Marseillais, dès le lendemain de la bataille, pouvaient reprendre dans le calme leurs affaires.

Ce n’est pas pourtant un cri de reconnaissance qui accueillit ce dénouement inespéré. Les conservateurs extrêmes réclamaient des exécutions impitoyables, des jugemens sommaires, toutes sortes de mesures d’exception. Leurs clameurs ne firent pas céder Emile Ollivier. Il ne voulut pas que les malheureux égarés qui remplissaient les prisons fussent privés d’une justice régulière, il leur assura les garanties du jugement par jury.