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Champenois les ignobles passions qui ont rendu amers vos derniers jours en Provence ; mais il est impossible que vous y rencontriez d’aussi ardentes sympathies. On vous écoutera, on suivra votre impulsion, on vous obéira, mais on ne vous aimera pas comme Vous êtes aimé ici de tous ceux qui vous ont connu ou seulement entrevu. — Je ne vous dirai pas combien souvent vous êtes l’objet de nos entretiens dans la famille Chargé, ni les regrets que votre départ a laissés parmi ses membres grands et petits ; je ne vous dirai pas non plus combien de stupides préventions sont tombées devant nos simples explications. Ce que vous ne saviez pas, c’est qu’il y a une foule d’autres cœurs qui battent à votre nom. Une évidente réaction s’est opérée en faveur de la vérité et de la justice. Ah ! pourquoi votre père a-t-il des opinions si extrêmes ? »

Mais ces véridiques assurances ne le consolaient pas. Qu’importait qu’on pensât encore à lui ? N’était-il pas certain qu’on n’y penserait bientôt plus et qu’un éloignement prolongé a raison des plus vives affections ? Le ciel gris de la Champagne, la pluie fréquente, l’éloignement des auxiliaires dévoués retenus à Marseille, les uns, comme Dolques, par des liens de parenté, les autres, comme Masnou, Eugène Picard, Séguier, par des postes qu’il leur avait assurés dans la magistrature, lui rendaient plus cruel le ressouvenir du beau ciel où ses yeux et son âme s’emplissaient de lumière. Il est, du reste, inquiet des destinées de la République et la voit avec angoisse s’engager avec Cavaignac et l’Assemblée Constituante dans la politique réactionnaire qui lui sera funeste. Il écrit à Séguier :

« 23 août. C’est avec la plus vive émotion que je vous écris. Votre lettre, que je viens de relire pour la dixième fois, me pénètre d’une chaleur douce et me fait oublier la bise qui ébranle ma fenêtre. Je me suis retrouvé un instant dans le courant électrique, et les battemens précipités de mon cœur m’ont rappelé des images et des souvenirs chéris. Mais il faut, hélas ! revenir vite à la réalité, et l’envisager telle qu’elle est, triste et décourageante. Je ne parle pas pour moi personnellement. Chaumont est une petite ville sombre, sans mouvement intellectuel, mais où l’on trouve le silence et la possibilité du travail. Ce qui me désole, c’est la nécessité de l’inaction et du repos forcé quand le vaisseau court aux écueils et que les mâts crient. Pauvre peuple ! Sans doute, et vous m’en avez vu faire