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que Dieu « suscitait insensiblement les occasions, et qu’il se servirait d’eux, sans qu’ils sussent pourtant où cela irait. » Et cela alla loin, jusqu’au bout du monde. Il laissait faire à Dieu, et cependant c’était un actif ; et cela composait un délicieux mélange d’ardeur et de patience, dont il sortit quelque chose de grand. A l’origine, on s’en allait, trois par trois, prêcher aux paysans, de village en village ; « et Dieu cependant faisait ce qu’il avait prévu de toute éternité. » Ce que Dieu avait prévu, c’est que ces missionnaires qui avaient commencé par dégrossir quelques paysans de France s’essaimeraient, du vivant même de saint Vincent, en Italie, en Grande-Bretagne, en Pologne ; c’est qu’ils organiseraient à Alger, sur de fortes assises, cette œuvre de rédemption des captifs, dont avaient déjà rêvé, au moyen âge, le Français Jean de Matha, fondateur des Trinitaires, et le Français Pierre Nolasque, fondateur des Pères espagnols de la Merci ; et c’est enfin qu’ils seraient dans Madagascar, sans apparence humaine de succès, les premiers pionniers de la foi de Rome. Monsieur Vincent ne s’étonnait de rien, ni des insuccès infligés par Dieu, ni des élans que Dieu lui imprimait ; et l’apparent contraste entre ces deux signes d’en haut ne troublait pas son âme. Ainsi formait-il ses missionnaires à être « plutôt pâtissans qu’agissans ; » et lorsqu’il voyait en Europe l’Église « réduite comme à un petit point par les hérésies, » il Redemandait si Dieu ne voulait pas la transférer chez les infidèles, « lesquels gardent peut-être plus d’innocence dans les mœurs que la plupart des chrétiens. » Monsieur Vincent crut bien sentir de bonne heure, qu’un jour la Mission s’en irait jusque chez eux ; mais, pour « ne rien mêler d’humain dans la résolution de cette sainte entreprise, » Monsieur Vincent ne se hâtait jamais.

Tandis que les Lazaristes inauguraient à Madagascar leur premier contact avec les infidèles, une autre compagnie de missionnaires s’instituait à Paris. Un jésuite d’Avignon, le Père de Rhodes, revenant de Cochinchine avant d’aller mourir en Perse dans une sorte d’apothéose, avait dit à la Propagande qu’il fallait à l’Extrême-Orient des évêques qui, de par leur dignité même, seraient qualifiés pour former un clergé indigène, et pour l’ordonner. Il avait parcouru l’Italie, la Suisse, en quête d’hommes d’Église qui voulussent bien, après avoir reçu la mitre, s’en aller là-bas ; il avait cherché vainement, et s’était